La vente de la collection de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent agite les médias français. La Chine n’est pas en reste qui s’émeut de la présence dans le catalogue de deux bronzes qui lui ont été volés pendant la seconde guerre de l’opium en 1860, lors du sac du Palais d’été par les troupes franco-britanniques. Les autorités, par la voie du ministère des affaires étrangères, exigent le retour des deux sculptures, une association d’avocats chinois tente de faire annuler la vente – un coup d’épée dans l’eau. Le nationalisme s’exacerbe dès lors que l’on évoque cette période de l’histoire de la Chine moderne.
Récemment, le journal de TF1 diffusait un reportage filmé sur le site de l’ancien Palais d’été ; le conservateur du lieu fondait en larmes à l’évocation de cet épisode. Mais que dire alors de la destruction de Pékin, opération qui se poursuit quotidiennement et qui n’est pas, à ce que je sache, le fait de soudards avinés ? Et comment qualifier la politique de la Chine en matière de patrimoine culturel et artistique ?
La présence dans les collections privées ou les musées nationaux d’œuvres d’art volées est un problème connu ; toutefois, l’histoire présente se pimente d’une dimension politique que les Chinois se gardent bien d’évoquer. Pierre Bergé est un ardent défenseur de la cause démocratique en Chine. Après la violente répression des manifestations de la place Tiananmen en 1989, il a ouvert à Paris la Maison de la démocratie chinoise pour venir en aide aux réfugiés politiques.
La question du retour de ces pièces dans leur pays d’origine s’est accompagnée d’une exigence en forme de défi : l’instauration de la démocratie en Chine. « Je ne ferai pas de cadeau aux Chinois contrairement à ce qu’ils imaginent. Je suis prêt à donner ces têtes chinoises à la Chine s’ils sont prêts à reconnaître les droits de l’Homme » (P. Bergé sur France Inter).
Plus personne n’ose s’exprimer ainsi ! Tout le monde craint de mécontenter les autorités chinoises et de perdre des parts de marchés. Bergé fait preuve-là d’un courage que n’ont pas les dirigeants politiques européens. On fait mine que la marchandise a avantageusement remplacé le politique, que la question de la démocratie en Chine est obsolète, et c’est un patron qui vient rappeler que le débat est loin d’être clos ! Honte aux intellectuels !
Le journaliste Pierre Haski, longtemps en poste à Pékin, a pris à partie Bergé en lui reprochant d’évoquer la question des droits de l’homme sans rien dire des conditions dans lesquelles les deux sculptures avaient été volées, et de citer longuement le fameux texte de Victor Hugo sur le sac du Palais d’été. Haski est gonflé : s’il y a un type qui n’a jamais transigé sur ces questions, c’est bien Bergé, et lui faire la leçon sur la démocratie est foutrement déplacé !
C’est précisément cet engagement que les autorités chinoises reprochent à Pierre Bergé, et non la vente de ces œuvres d’art – il s’en vend toute l’année dans le monde entier et rien n’empêche, par exemple, le groupe chinois Poly, d’anciens marchands d’armes, de s’en porter acquéreur, comme ils l’ont fait pour les autres sculptures de cette fontaine.
Ne nous abusons pas sur les intentions patriotiques des Chinois : ce qui est visé dans cette campagne anti-Bergé, c’est le souvenir de Tiananmen, toujours vif, vingt ans après.
Il n’est pas inutile de préciser pour conclure que l’hostilité du gouvernement chinois à l’encontre de Nicolas Sarkozy et de la France, qui sévit depuis plusieurs mois, a amplifié et certainement aggravé ce différend.
Enfin, et pour que ce soit parfaitement clair, je ne dis pas qu’il faut que les Chinois connaissent une démocratie digne de la nôtre. Nous ne vivons pas en démocratie et l’ersatz qui porte ce nom s’effrite tous les jours davantage, au point que l’on en vient à se demander si le modèle de certains dirigeants européens (Sarkozy, Berlusconi) ne serait pas plutôt le régime autocratique… chinois ! Le maintien en détention de Julien Coupat révèle les limites mêmes de la liberté d’expression en France aujourd’hui. Et cette situation est malheureusement à rapprocher de celle des contestataires emprisonnés en Chine.
Pierre Bergé : « les têtes chinoises contre les droits de l’Homme »
Par Dominique Ageorges (AFP), 21 février 2009.
http://www.aujourdhuilachine.com/article.asp?IdArticle=10530
La « vente du siècle » de Bergé attise le nationalisme en Chine
Par Pierre Haski (Chinatown/Rue 89), 23 février 2009.
http://www.rue89.com/chinatown/2009/02/22/berge-et-sa-vente-du-siecle-attisent-le-nationalisme-chinois
Le pillage des têtes de bronze, une plaie dans la mémoire chinoise (sujet diffusé sur TF1)
Par Lily Eclimont, Manuel Rambaud, Wu Hannuo, le 24 février 2009.
http://www.aujourdhuilachine.com/article.asp?IdArticle=10550
La première photographie vient de l’agence Reuters, elle est en ligne sur Liberation.fr. La seconde a été récupérée sur le site du Quotidien du peuple en français (une saine lecture !).