Deux tribunes extraites de Rue89 et d’autres liens
« Tarnac : maintenant, ça suffit ! »
Par N. Mamère D. Voynet et C. Duflot, Verts
21 mai 2009
Décidément, la justice antiterroriste ne plaisante pas avec le ridicule, elle le défie : depuis lundi, cinq nouvelles garde à vue ont eu lieu dans l’affaire Tarnac. Une manière d’épaissir un peu plus le dossier, toujours vide de quoi que ce soit pouvant se rapporter au complot terroriste dénoncé par la ministre de l’Intérieur, qui sonnait tambours et trompettes en novembre dernier.
Sans doute déçue depuis d’une affaire qui tend chaque jour à faire pschiiit, Mme Alliot-Marie s’est faite plus discrète, pariant sur la vieille leçon selon laquelle ses excès de langage s’oublieraient en parlant d’autre chose.
Reste que Julien Coupat est maintenu en détention, depuis sept mois. Reste que huit autres sont avec lui poursuivis pour une prétendue entreprise terroriste que la machine policière, si prompte d’ordinaire à grossir le trait, semble avoir peine à rendre crédible.
Reste que les seuls faits tangibles de ce dossier, le sabotage de voies ferrées, ont été revendiqués par d’autres, ce qui achève s’il le fallait encore de jeter le trouble sur la totalité de cette opération, dont on devine aisément le bénéfice médiatique et politique escompté, et bien moins la pertinence judiciaire.
Depuis sept mois, d’abord parce que nous doutions des accusations portées en place publique par la ministre de l’Intérieur, puis lorsque nous avons pu vérifier combien nous avions raison de douter, nous avons dénoncé le sort réservé aux accusés de Tarnac.
Nous ne partageons sans doute pas les mêmes idées, et sommes résolument hostiles à toute forme de violence politique. Mais, précisément, nous sommes amenés à constater que de violence, il n’y eut point. Et que, si des textes ont été écrits et diffusés (ce qui, à ce stade, reste à débattre), la République ne nous a pas habitué à enfermer des gens pour ce qu’ils écrivent, encore moins sous l’accusation de terrorisme.
Depuis sept mois, chaque jour passé en détention par Julien Coupat est un jour de trop. S’il s’agissait d’entreprise terroriste, comment justifier que les autres accusés aient été libérés ? Et si ceux-là ont été libérés, pourquoi Julien Coupat, qui présente toutes les conditions de représentation et dont la liberté serait de toute façon surveillée, est-il maintenu en détention ?
Une société anesthésiée par le pouvoir personnel
Quel argument de droit peut-il justifier le maintien d’un régime d’exception pour un accusé dont le plus grand crime, s’il était prouvé, serait d’avoir ralenti un train, et ce alors même que les spécialistes s’accordent à dire qu’une telle action, pour stupide qu’elle soit, n’aurait mis en danger aucune vie humaine ? Et que signifie une justice qui, sourde au traumatisme d’Outreau, persiste à incarcérer des justiciables lorsqu’ils pourraient attendre leur procès en liberté ?
Depuis sept mois, nous considérons que la France se déshonore. L’affaire Tarnac n’est pas une anecdote, une petite affaire qui devrait être abandonnée aux seuls mouvements radicaux et contestataires.
Elle est un symptôme terrifiant de ce qu’une société anesthésiée par le pouvoir personnel, la recherche de boucs émissaires et l’accélération médiatique perpétuelle, peut laisser faire au nom de l’antiterrorisme. Il est plus que temps de se réveiller, d’ouvrir les yeux et de refuser la « justice » d’exception.
Noël Mamère, Dominique Voynet et Cécile Duflot
http://www.rue89.com/2009/05/21/tarnac-maintenant-ca-suffit
« Julien Coupat ou les nouveaux sorciers »
Par Arnaud Viviant, journaliste
27 avril 2009
Le temps aidant, il y a quelque chose de proprement abusif dans la détention abusive de Julien Coupat. Il faut dire qu’à ce point de propagande, les pléonasmes ne nous font plus peur, pas plus qu’ils ne nous calment.
Des avocats aidant, des documents ont émergé : à savoir, sur Mediapart, les procès-verbaux des entretiens de Julien Coupat avec ses juges. Rappelons à toutes fins utiles que ses documents sont secrets et n’ont évidemment pas à être publié : mais certains journalistes de toute évidence savent prendre leurs responsabilités dans cette affaire, ainsi que certains de leurs éditeurs, quels qu’ils soient. Au passage, l’information sur Internet gagne quelques galons dans cette histoire de liberté qui est aussi la nôtre.
Selon des documents on ne peut plus officiels, Julien Coupat aurait donc déclaré auprès de ses juges être victime d’un « procès en sorcellerie ». C’est une parole forte, qu’il s’agit d’entendre au bon degré, dont on sait depuis tout petit qu’il est le premier, les procès en sorcellerie n’étant pas restés dans notre mémoire collective comme un modèle de justice. Et il est vrai qu’à côté de la tenue de ces procès-là, même le juge Burgaud ne paraît mériter qu’« une simple réprimande » pour ses errements aux mortelles conséquences.
Les nouveaux sorciers
Car, que reproche-t-on aux sorciers et aux sorcières sinon d’être différent, comme les historiens nous l’ont appris. Que leur reproche-t-on sinon de vivre dans un présent visionnaire que l’ordre établi ne peut que redouter, puisqu’il est l’image, soudain fort réelle à ses yeux, de sa prochaine destitution ?
Mais cessons de tortiller les mots : tous ceux qui suivent un peu la Communauté visible de Tarnac, ce qu’il en émerge depuis le froid mois de novembre, savent bien que ce qu’il est désormais reproché à Julien Coupat, ce n’est pas d’avoir arrêté des trains dans des circonstances plus dignes d’une BD de « Lucky Luke » que d’un véritable complot terroriste international, mais d’avoir écrit un livre s’intitulant, sataniquement presque, « L’Insurrection qui vient ».
Comment ne pas songer en lisant ce titre, ce titre sans intention, sans autre joie que celle d’informer, à un autre titre tout aussi incompris, sans intention lui non plus, sans autre joie lui aussi que celle d’informer : « Français, encore un effort pour être républicains ». Un pamphlet de Sade, Cinquième Dialogue de la Philosophie dans le boudoir, où le Marquis met la gomme. On sait que cela ne lui vaudra rien.
« L’insurrection qui vient » et « Français encore un effort pour être républicains » ont ceci en commun, d’inacceptable, qu’ils encouragent à la liberté, à commencer par celle de penser, de parler et de, insistons maintenant lourdement, publier.
Et chacun des deux textes a prouvé, chacun dans son époque comme deux miroirs face à face, dans cette perspective sans fin qu’est l’Histoire, qu’en réalité, ce n’était pas possible. Car devant la détention provisoire de Julien Coupat qui dure, nous ne pouvons que comprendre que nous ne sommes plus face à un Pouvoir qui fantasme son ennemi, mais face à un Pouvoir qui a décidé de l’inventer de toute pièce, pour se rassurer, et lui donner un visage, une visibilité.
Ce qu’on reproche fondamentalement aujourd’hui à Coupat et à ses amis, c’est précisément leur invisibilité revendiquée, c’est de n’avoir pas de téléphone portable, de vivre cachés en somme pour n’être pas les plus malheureux des hommes.
Alors, le temps aidant dans tous les sens, nous sera-t-il loisible d’écrire, c’est-à-dire de publier cette simple phrase : que, sans qu’on s’en aperçoive, sinon trop tard - franchement, c’est ballot -, l’insurrection est venue.
http://www.rue89.com/2009/04/27/julien-coupat-ou-les-nouveaux-sorciers
Les habituels rapports de police du quotidien Le Monde :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/05/18/trois-proches-de-julien-coupat-en-garde-a-vue_1194443_3224.html#ens_id=1164748
http://www.lemonde.fr/archives/article/2009/05/12/tarnac-julien-coupat-reste-en-prison_1192239_0.html
Et ce témoignage :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/05/11/les-policiers-ont-fait-bingo-comme-s-ils-avaient-decouvert-une-cache-d-armes_1191399_3224.html
L’esprit de Tarnac
http://nopasaran.samizdat.net/article.php3?id_article=1652
Julien Coupat
http://sarkofrance.blogspot.com/2009/05/coupat-les-blogs-et-la-peur.html
http://www.article11.info/spip/spip.php?article412
Charles Tatum a relevé sur son blog cette information (voir adresse ci-contre), « L’affaire du vélo de Floirac », dont je suggère la lecture.
Source : Rue89 en date du 21 mai (Antiterrorisme : cinq gardes à vue pour une photo potache).