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Scandale de l’hôtel Lambert : Michèle Morgan prend la parole
Par Jean-François Cabestan
23 juin 2009
Par Jean-François Cabestan
23 juin 2009
Michèle Morgan a résidé à l’hôtel Lambert pendant une vingtaine d’années. L’appartement qu’elle a abandonné en 1976 occupait l’étage-attique, au-dessus de la célèbre galerie d’Hercule, et se terminait par le balcon en demi-lune qui domine la Seine. Inquiète des travaux qu’on s’apprête à y entreprendre, l’actrice de Quai des brumes a très exceptionnellement accordé le privilège d’une interview exclusive à Jean-François Cabestan, historien, architecte du patrimoine et membre-expert de la Commission du Vieux-Paris. La partenaire de Jean Gabin et de Marcello Mastroianni évoque ici maints souvenirs de ce lieu magique et lumineux où elle a beaucoup peint et dont elle connaît l’épaisseur historique. Notamment préoccupée par le bouleversement des fondations, Michèle Morgan a souhaité que son nom soit ajouté à la liste des pétitionnaires.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre séjour à l’hôtel Lambert ?
J’ai habité l’hôtel Lambert pendant presque une vingtaine d’années, jusqu’en 1976 et je suis partie parce que les Rothschild, avec lesquels j’ai vécu un temps ont racheté. J’habitais tout en haut de l’hôtel : je donnais sur la Seine et sur le jardin. Le pont Henri-IV était sous mes fenêtres, mais au quatrième étage ce n’était pas bruyant. Vous savez, les voitures passaient de l’autre côté de la Seine. À l’époque, Paris, c’était quand même plus calme. L’île Saint-Louis n’était pas ce qu’elle est devenue maintenant avec toutes les voitures, les restaurants et tout ça… C’était très calme. Les Pompidou habitaient de l’autre côté. On montait par un petit escalier sur le côté – il n’y avait pas d’ascenseur à cette époque – très élégant moitié bois, moitié tomette, c’était très chic, avec une rambarde en bois, pour autant que je me souvienne. Mon appartement faisait partie de tout l’étage qui était au-dessus de la galerie d’Hercule. On entrait, il y avait un long couloir qui menait à une grande pièce. J’étais, à cette époque-là, mariée avec un acteur qui s’appelait Henri Vidal, un célèbre jeune premier de l’époque. Mais enfin, il avait sa chambre et moi, la mienne qui donnait sur la Seine. Une petite chambre ravissante. Il y avait aussi une salle à manger, avec ces fenêtres de l’époque, qui étaient très belles. D’ailleurs, j’ai fait le portrait de mon fils devant une de ces fenêtres. Je n’ai jamais manqué de soleil. Je crois que j’avais le meilleur appartement de l’hôtel… c’était délicieux. Les Rothschild ont été charmants – je leur dois un souvenir agréable – parce que, très élégamment, ils m’ont dédommagée, ce qui m’a permis d’acheter cet appartement à Neuilly. Je suis une fille de Neuilly-sur-Seine, j’y suis née et j’y ai vécu toute mon enfance. Donc je n’avais qu’un rêve au monde – en dehors de l’hôtel Lambert, qui a été une merveille –, celui de retourner habiter à Neuilly.
Qui habitait l’hôtel Lambert de votre temps ?
Il y avait les Czartoryski, une vieille famille polonaise. C’étaient des gens un peu hautains et désargentés qui ne devaient pas être tellement contents d’avoir une théâtreuse ou une vedette de cinéma dans leur sublime hôtel de l’île Saint-Louis. Peut-être la première génération des Czartoryski était-elle moins snob. Pour compenser l’argent il y a le snobisme, quand même, n’est-ce pas ? Il y avait aussi Redé, le baron de Redé, qui passait de mon côté parce qu’il habitait en dessous de chez moi. Il a toujours été très charmant et très urbain. Il y avait enfin un autre monsieur très riche qui habitait là, un étranger, un homme d’Amérique du Sud (Arturo Lopez-Willshaw, le protecteur du baron de Redé, ndlr) et qui était charmant d’ailleurs. On était peut-être trois ou quatre locataires, il y a eu à un moment une femme très connue, qui était très amie avec le baron de Redé (Marie-Hélène de Rothschild, ndlr). C’est par Redé que les Rothschild sont arrivés et il est resté avec eux. Le baron de Redé était très ami avec tous ces gens-là. Moi, j’étais la comédienne et j’habitais tout en haut. Alors, c’est drôle parce que les bateaux passaient sous les fenêtres de ma chambre et j’entendais le soir les commentaires : « … et là habite Madame Michèle Morgan ! » Ils ne parlaient pas du baron de Redé, des Rothschild et de rien du tout. Alors les gens devaient s’imaginer que cet hôtel sublime et mirifique m’appartenait, alors que je n’étais que locataire. C’était une grande maison et on se rencontrait très rarement. On se trouvait complètement par hasard en partant ou en rentrant dans la cour. Je n’ai jamais vu vraiment passer personne par le grand escalier, qui servait sans doute du temps de la splendeur de l’hôtel Lambert ou dans les grandes occasions. L’hôtel était très habité quand même. Il y avait un gardien à l’accent alsacien, ou quelque chose comme ça, peut-être. Il était assez rogue, mais quand même très bien comme gardien, et finalement, c’était un homme très gentil.
Que pensez-vous de l’installation du nouveau propriétaire et de sa famille à l’hôtel Lambert ?
Ils sont habitués à des espaces immenses chez eux, mais quand ils achète un hôtel dans l’île Saint-Louis, ils ne se rendent pas compte tout d’un coup que là, ils sont à Paris, et surtout dans l’île Saint-Louis. Quelle idée d’acheter ce truc dans l’île Saint-Louis ; ça, c’est d’un snobisme ! Ils auraient dû construire autour de Paris, ils auraient eu toute la place qu’ils voulaient. Mais ça faisait moins chic, peut-être, c’était moins élégant ! Cette île Saint-Louis c’est extraordinaire ; l’hôtel Lambert, c’est la cerise sur le gâteau. Mais pourquoi est-ce que la Ville de Paris n’a pas racheté cet endroit pour en faire un musée, ne serait-ce que pour la galerie d’Hercule ?
On s’inquiète aujourd’hui des risques d’inondation dans la galerie d’Hercule. Qu’en était-il de votre temps ?
J’avais le balcon rond qui dominait la Seine et le pont Henri-IV. Au début, j’ai essayé de le fleurir, mais comme il y avait la galerie d’Hercule, on m’a demandé de ne pas arroser, évidemment ; parce qu’ils avaient peur pour la galerie, ce que j’ai très bien compris et j’ai dû enlever toutes les plantes, les fleurs, etc. Vous vous rendez compte, les plafonds peints, par je ne sais plus qui d’ailleurs… ah oui ! Le Brun : je les comprends. D’ailleurs je n’ai fait ni une ni deux, j’ai retiré toutes les plantes qu’il y avait, on a tout enlevé et voilà… J’avais aussi une petite cuisine, enfin une cuisine normale, et puis deux salles de bains ; mais cuisine et salle de bains ne correspondaient pas à la galerie d’Hercule. Ce n’était pas au-dessus de la galerie, c’était sur le côté, plus vers l’intérieur de l’île.
Aviez-vous une voiture ? Comment la gariez-vous ?
Oui, j’avais une voiture, mais je la garais ailleurs de l’autre côté du pont, ce qui n’était pas très pratique, je dois dire, d’ailleurs, dans un grand garage, boulevard Morland. Je jouais au théâtre à cette époque et le soir à minuit, quand je rentrais, mes amis me disaient : « Mais comment, tu habites l’île Saint-Louis et tu rentres toute seule après le théâtre » ? Je n’ai jamais eu peur, d’ailleurs je n’ai jamais eu peur de grand-chose, surtout à cette époque-là. Et puis, le théâtre finissait vers onze heures, onze heures et demie, et à minuit j’étais chez moi, bien sûr. Mes amis s’inquiétaient parce que je devais traverser le pont Henri-IV. Je n’ai jamais eu la possibilité d’entrer dans la cour de l’hôtel en voiture, jamais. La porte cochère était toujours fermée. On avait la clef ou on sonnait, et ça s’ouvrait.
Avez-vous entendu parler de ce projet de parking souterrain qui préoccupe beaucoup les spécialistes ?
Je sais qu’ils veulent faire des garages et des parkings. Évidemment, je comprends que les nouveaux propriétaires aient envie d’avoir un garage sous leur maison, car où vont-ils se parquer dans l’île Saint-Louis ? C’est plein tout le temps ! Mais pourquoi veulent-ils faire un immense parking comme ça ? Pourvu que le parking n’ébranle pas le bâtiment. Mais moi, ça me désole quand même un peu d’entendre ça, parce que j’ai très peur pour les sous-sols. Ils seront bien avancés quand toutes leurs voitures seront complètement inondées. C’est imprévisible, bien sûr, mais l’eau envahit tout ; on oublie toujours ça. Mais ça va être un bordel terrible – excusez-moi – d’avoir ce parking dans cette petite rue Saint-Louis-en-l’Île. Il faut qu’ils réduisent, il faut faire moitié-moitié, il faut discuter le coup, il ne faut pas aller trop près de la Seine. Il faut avoir une discussion et leur dire : écoutez, ou alors c’est l’interdiction totale ou alors vous réduisez… Ils n’ont qu’à revendre, hein ? C’est la meilleure solution ! S’ils ont l’intention d’avoir beaucoup de monde, on peut aussi leur dire de se garer dans la cour intérieure. Elle est immense cette cour.
On envisage de creuser sous le jardin. Qu’en pensez-vous ?
Creuser sous le jardin ? Oh la la, mais c’est dangereux, ça… J’espère bien que le sous-sol ne sera pas abîmé… c’est un terrain assez mouillé, quand même. Ils en sont bien conscients, de ça ? Mais comme vous savez maintenant, on consolide beaucoup les choses… Qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? Que pensent les architectes de ça ? Vous vous rendez compte, si la Seine rentre dans tout ça, par le sol ? La force de l’eau, c’est plus fort que tout, on a beau mettre des barrières, du ciment ; parce qu’ils prennent des risques quand même, ils prennent le risque que le « château » s’effondre, avec la galerie d’Hercule dedans… Si ça leur tombe sur le nez, il sera trop tard.
Vous êtes une célébrité. Accepteriez-vous d’appuyer la pétition en faveur d’une réorientation du projet de restauration de l’hôtel Lambert ?
Je ne sais pas comment il se fait que les gens se souviennent encore de moi. C’est étonnant qu’on regarde encore Quai des brumes ! Qu’est-ce que je peux faire, moi ? C’est de la faute de la Ville de Paris. Ils n’auraient jamais dû laisser partir ça. Je veux bien signer la pétition, bien sûr, mais pas toute seule quand même : ils vont me trucider. Mais vous savez, contre l’argent, vous aurez beaucoup de mal. Avec l’argent on peut tout acheter, hein, et toutes les pétitions au monde ne peuvent rien. Enfin, on peut toujours essayer de se battre… Je signe.
http://www.prestigium.com/fr/news/culture/michele-morgan-evoque-ses-annees-a-l-hotel-lambert-et-ses-craintes-sur-la-restauration-du-batiment-591/
Ci-dessus : Les Orgueilleux (Yves Allégret, 1953).