Allan Rouse, ingénieur du son, a travaillé sur la remastérisation du catalogue des Beatles dans les studios d’Abbey Road où ont été enregistrés 90 % des titres produits par le groupe.
Êtes-vous musicien vous-même ?
Non, pas du tout. J’ai pris des cours quand j’étais enfant mais franchement, je n’étais pas doué du tout… Ce qui m’intéresse vraiment, dans la musique, c’est le côté hi-fi. Tout ce qui concerne le son me passionne beaucoup plus que de jouer d’un instrument.
Vous souvenez-vous de l’époque où vous avez découvert la musique de Beatles ? Étiez-vous un fan ? À quel moment vous est venue l’envie de travailler sur leur musique ?
Mon tout premier souvenir des Beatles, c’est quand je les ai vus au journal télé à leur retour de leur première visite aux États-Unis. Je me demandais alors ce que cela signifiait tous ces fans qui hurlaient pour les accueillir et j’ai acheté quelques disques pour essayer de comprendre. En fait, je n’avais jamais imaginé bosser un jour sur quoi que ce soit concernant les Beatles. Cela a commencé en 1991 quand Ken Townsend, le directeur des studios Abbey Road, m’a demandé de réaliser une copie digitale des bandes magnétiques des Beatles pour qu’on en ait une sauvegarde. À la suite de cela, j’ai eu la chance de travailler durant un an et demi avec Sir George Martin sur un documentaire racontant le making of de Sgt Pepper, puis sur The Beatles Live at the BBC et enfin sur l’Anthology. Depuis lors, c’est devenu un travail à plein temps.
Pourriez-vous expliquer en quoi la remastérisation des albums des Beatles était devenue une nécessité ?
Les albums des Beatles n’avaient jamais été remastérisés depuis l’apparition du CD dans les années 80 alors qu’une grande partie de leur catalogue avait été remixé depuis. Il était important que la musique originale, créée par les Beatles, Sir George Martin et les ingénieurs du son de l’époque puisse être présentée aujourd’hui de la meilleure façon possible.
Pour quelles raisons un fan qui possèderait déjà les vynils et les CD devrait-il acheter à nouveau les albums ?
Je crois sincèrement que les albums remastérisés ont un son bien meilleur que les CD réalisés jusqu’ici. Et cela d’abord parce que la technologie digitale a énormément progressé par rapport à ce qu’elle était à l’époque où l’on a produit les premiers CD. Je pense aussi que nos efforts pour choisir les meilleures machines possibles dès le début du processus nous a permis d’améliorer très sensiblement le son de l’ensemble. Enfin, le packaging et les livrets qui accompagnent les CD aujourd’hui sont très nettement supérieurs…
Vous êtes vous donné un certain nombre de règles pour effectuer cette remastérisation ?
La technologie actuelle permet de réaliser des choses qu’il était difficile, voire impossible de faire lors de la première édition en CD. Dès le départ, un débat a eu lieu au sein de l’équipe chargée de la remastérisation afin de déterminer sur quels types de sons nous allions intervenir : lesquels pourraient être améliorés ou éliminés des enregistrements originaux. Notre règle a toujours été que les décisions devaient être prises à l’unanimité. Nous avons ainsi décidé que toute imperfection technique comme par exemple les sifflantes excessives, les bruits de micro liés au chant (lors de la prononciation de la lettre « p » notamment) ou encore les clics d’origine électrique… pourraient être retirés à condition de ne pas affecter l’intégrité de l’enregistrement. En revanche, tout ce qui relevait directement de la performance des Beatles tels que les respirations, les grincements de la grosse caisse de Ringo ou le craquement de chaise à la fin de A Day in The Life devrait être laissé intact.
À la première écoute, on a l’impression d’entendre plus clairement les instruments… comme si on les avait séparés des voix. Y-a-t-il d’autres changements majeurs qu’on peut percevoir ?
L’équipe d’Abbey Road s’est occupée de plusieurs remix des Beatles : Yellow Submarine en 5.1 surround avec une nouvelle stéréo puis le DVD de l’Anthology, le DVD de Help!, Let It Be… Naked et Love. Lorsqu’on remixe, on peut non seulement repositionner les voix et les instruments mais on peut également changer leur niveau et leur sonorité. Ce sont là des changements majeurs et nous étions conscients du fait qu’on ne pourrait pas opérer de tels changements par la remastérisation qui est une opération plus restrictive en comparaison. Les principaux changements qui ont pu être faits consistaient tout au plus à renforcer une piste. Nous avons écouté chaque titre très attentivement et si nous sentions qu’une voix, une guitare, une basse ou une percussion pouvait être améliorée d’une façon ou d’une autre, un essai était fait. Si, par exemple, nous pensions qu’une voix avait besoin d’être un peu plus présente, nous la poussions un peu mais toujours de façon suffisamment discrète pour que cela affecte le moins possible les instruments. Nos interventions ne devaient en aucun cas affecter l’ensemble. Sur une vingtaine de titres, nous n’avons procédé à aucun rééquilibrage du son car c’était inutile. Pour la majorité des autres titres, nous l’avons fait de façon extrêmement réduite. Notre intention a toujours été de nous éloigner le moins possible du son original des « master tapes ».
Vu de l’extérieur, on a l’impression que les ingénieurs du son chargés du projet avaient une énorme responsabilité. Ça doit être assez facile de se planter, non ?
Nous étions tous conscients au départ, et à vrai dire un peu nerveux, du danger de ne pas faire le job correctement. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de façon collective de comment nous allions procéder. Chaque aspect de l’opération a été discuté entre nous jusqu’à ce que nous soyons tous, sans exception, entièrement satisfaits du résultat. Plus important encore, nous tenions à ce que notre travail plaise à la fois à EMI, Apple et au public.
Cela aurait-il représenté un danger qu’une personne décide seule ?
Non. Je ne pense pas qu’il y aurait eu le moindre danger. Guy Massey, Paul Hicks, Sam Okell, Steve Rooke, Sean Magee ou encore Simon Gibson sont tous de très talentueux ingénieurs du son et nous étions généralement tous d’accord sur ce qu’il fallait faire. Néanmoins, certains aspects plus techniques demandaient plus de réflexion et il était alors appréciable d’être plusieurs à travailler sur le projet. Sans compter que, si une seule personne avait été chargée de remastériser l’œuvre complète d’un des plus grands groupes du monde, cela aurait quand même représenté une sacrée pression…
Vous avez travaillé sur l’album Let It Be… Naked. Quelles sont les grandes différences avec le travail que vous venez de faire sur les autres albums ?
Naked était un remix complet à partir du master original qui comportait 8 pistes. Les instructions que nous avions reçues étaient de réaliser l’album tel qu’il avait été conçu à l’origine : un album live avec 4 musiciens, tels qu’ils étaient à leurs débuts, sans les ajouts de sons (« overdubs »), de parties orchestrées et de chœurs.
Paul McCartney, Ringo Starr, Yoko Ono et Olivia Harrison ont-ils été consultés pour cette remastérisation ?
Tous projets concernant les Beatles que nous traitons ici, aux Studios Abbey Road, ne sortent qu’avec l’aval de Paul, Ringo, Yoko et Olivia. Ils sont systématiquement invités à venir entendre le résultat, particulièrement quand il s’agit de Surround Sound. Dans certains cas (la version audio de l’Anthology ou Love), ils sont venus au studio pendant que nous travaillions sur le projet. Cette fois-ci, quand nous avons eu terminé la remastérisation, nous leur avons envoyé les CD pour avoir leur BAT (bon à tirer).
Pensez-vous que cette réédition puisse amener des jeunes à découvrir leur musique aujourd’hui ?
À en juger par le nombre de jeunes qui viennent se photographier au carrefour d’Abbey Road ou qui écrivent sur le mur des studios, j’aurais plutôt tendance à penser que les disques des Beatles auraient continué de se vendre avec ou sans remastérisation. Ce qu’on peut dire, c’est qu’ils sont aujourd’hui bien mieux présentés, tant sur le plan du son que visuellement, et que cette réédition rend hommage à l’importance de leur œuvre dans l’histoire de la musique.