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15 février 2010 1 15 /02 /février /2010 16:32

 

En écho à la très bonne tribune de Michka Assayas parue dans Le Monde du 30 décembre 2009 (« Comment j’ai perdu mon identité nationale »), je mets en ligne le texte de mon ami Pierre-Olivier. Il a été rédigé en mars 2008 et recoupe très largement le témoignage d’Assayas.


« Vichy »

 

Hitler serait mort en 1956, selon certaines sources du FBI. Pétain vit toujours dans le cœur de l’administration française.


Je m’appelle Pierre-Olivier Capéran. Je suis né en 1978 à Surabaya, en Indonésie.


Mon père, lui aussi, est né à l’étranger, à Casablanca, Maroc, où son père dirigeait un dispensaire médical, dans les années cinquante.

Il y a deux mois de ça, j’ai entamé des démarches pour renouveler mon passeport, en vue de quitter la France et m’installer au Canada. Pourquoi ? me direz-vous. Serait-ce lié à l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République ? À la hausse démente du prix des loyers à Paris ? À l’apathie du milieu culturel français ? À l’ennui ? À l’odeur de moisi qui règne en France ? Au désir de découvrir de nouveaux horizons et de parler une autre langue ? Oui, c’est un peu tout ça qui m’a décidé à partir, plus quelques autres détails liés à ma vie privée.
 Je me suis donc renseigné sur les différentes démarches à effectuer. Dans la liste, la première était le renouvellement de mon passeport. Lorsque vous êtes nés à l’étranger, vous devez fournir, en plus des pièces habituelles, un « Certificat de nationalité française ». J’ai donc appelé la mairie de mon arrondissement, le XIe, pour savoir comment obtenir ce fameux certificat. Une femme au bord du coma m’a dit qu’il fallait que je m’adresse au Tribunal d’instance de mon arrondissement, sans, bien entendu m’en donner les coordonnées. « Vous trouverez le numéro dans le bottin », est-elle parvenue à articuler avant de raccrocher. Après plusieurs recherches infructueuses sur Internet, j’ai enfin trouvé les coordonnées du tribunal. Nouvelle voix de femme éteinte. Celle-ci me dit que je dois présenter une pièce d’identité, un justificatif de domicile, ainsi qu’une copie d’acte de naissance, pour me voir délivré un Certificat de nationalité française. Après avoir raccroché, je contacte le service centralisant toutes les demandes d’actes pour les Français nés à l’étranger, le « Service central d’état civil du Ministère des affaires étrangères », basé à Nantes. Par précaution, je demande deux copies d’acte de naissance. On m’informe que cette démarche prend en moyenne dix jours. Deux semaines plus tard, je reçois les actes de naissance. Je consulte Internet pour connaître l’adresse du Tribunal d’instance de mon arrondissement. Le site que je finis par trouver, m’indique que le tribunal, situé rue du Chemin vert, est ouvert du lundi au vendredi, sauf les jeudi, de 9 h à 12 h 30. Nous sommes un lundi après-midi, je reporte donc au lendemain mon déplacement au tribunal (je précise, juste en passant, que je ne travaille pas… je n’ai donc pas besoin de prendre de jours de congés pour mes démarches…). Le lendemain matin, je me rends à pieds rue du Chemin vert. Il pleut. Il fait froid. J’ai une méchante gueule de bois, comme souvent les matins. Arrivé à l’adresse indiquée, je ne vois aucune trace d’un quelconque tribunal. Je demande quand même au gardien de l’immeuble si je suis bien au Tribunal d’instance. Le type, un grand black goguenard, me répond que le tribunal a déménagé il y a déjà plusieurs années. Il me donne, très gentiment, la nouvelle adresse, en me demandant : « C’est pour une procuration ? ». Je réponds : « Oui », sans trop réfléchir. Il me répond : « C’est cool. Bonne chance ! » Le nouveau tribunal se trouve rue Oberkampf, à quelques immeubles de chez moi… Je retourne donc rue Oberkampf. Il est midi. Arrivé au tribunal, un type assez désagréable me demande de vider mes poches de tout objet métallique pour passer le portique. Je m’exécute. Portefeuille, iPod, ceinture, briquet, pièces de monnaie, téléphone portable, stylos se retrouvent dans le bac. Une fois passé, le type me demande pourquoi je viens. « Pour un Certificat de nationalité française », je lui réponds. « Ah, désolé, mais pour la Nationalité, c’est fermé les mardi, jeudi et samedi. Il faudra revenir demain matin… » me dit-il pendant que je récupère toutes mes affaires dans le bac en plastique.


Le lendemain matin, je retourne au tribunal. Même cirque que la veille au portique. Suit une attente d’une heure, pendant laquelle je relis péniblement trois fois 20 minutes en écoutant de la musique sur mon iPod.
 Une vingtaine de personnes attend en même temps que moi, majoritairement des femmes, Noires pour la plupart. La femme qui passe avant moi est une Blanche, bonne bourgeoise parisienne qui eut le malheur de naître à l’étranger, peut-être en Algérie française… Toujours est-il qu’après quelques minutes, je l’entends hurler depuis le bureau de la Nationalité que « c’est un scandale » et qu’elle exige de « voir un supérieur » et qu’elle ne « comprend pas pourquoi un passeport n’est pas un justificatif de nationalité », qu’elle « possède tous les papiers nécessaires à l’établissement de sa Nationalité française » et qu’« aucune raison ne l’empêche d’obtenir son Certificat de nationalité ! ». Sa fureur est énorme. Elle finit par quitter le tribunal, au bord des larmes, sans son Certificat.

Vient alors mon tour. Derrière le guichet du bureau de la Nationalité se tient un homme maigre, voûté, au regard fuyant, qui, sans un mot, me signifie de présenter les pièces de mon dossier. Je m’exécute, sortant de mon sac la copie de mon acte de naissance, ainsi qu’un justificatif de domicile et une copie de ma carte d’identité. Pendant que je cherche dans mon sac, le type derrière son guichet me dit : « Votre démarche ne devrait pas trop poser de problème. Vous êtes comme moi… » Sur le coup, je ne comprends pas son allusion. Et puis, au fil de l’échange, plutôt désagréable que je peux avoir avec lui, je comprends : il veux dire que c’est plus simple parce que je suis Blanc et Français d’origine. Le seul hic, c’est que je suis né à l’étranger.


Il regarde rapidement mes papiers, puis, sans lever les yeux vers moi, me demande :

« – Vos parents sont nés en France, je suppose.

– Euh, non. Mon père est né au Maroc.

– Ah ! »

Il pivote alors sur sa chaise et s’empare, dans une petite bibliothèque située à gauche de son bureau, d’un ouvrage de droit intitulé « Code de la Nationalité française », qu’il se met à feuilleter lentement, tout en marmonnant. Finalement, il sort d’un dossier une feuille représentant un arbre généalogique sur cinq générations, que, tout en me posant des questions, il se met à remplir, en précisant qui, de ma famille, est né à l’étranger ou en France.


Au bout d’un moment, il extrait une nouvelle feuille d’un dossier. La feuille représente la liste des papiers à fournir pour prétendre au Certificat de nationalité française. Patiemment, et avec une délectation certaine, le fonctionnaire se met à remplir la feuille, puis me la tend, en me disant que je « dois fournir tous les actes présents sur la liste ».


Je prends alors connaissance de la liste… et là… je comprends brusquement pourquoi le femme qui était passée avant moi avait fait un tel scandale. Le rat derrière son comptoir me demandait de fournir :

Les actes de naissance :
– de mon père ;
– de ma mère ;
– de mon grand-père paternel ;
– de mon grand-père maternel ;
– de ma grand-mère maternelle ;
– de mon arrière-grand-père paternel ;
– de mon arrière-arrière-grand-père paternel.

Et les actes de mariage :
– de mes grands-parents paternels ;
– de mes arrières-grands-parents paternels.

Le tout accompagné d’une photo d’identité et d’un justificatif de domicile récent.

Sur le coup, j’ai cru qu’il plaisantait. Je pensais sincèrement que ce Certificat de nationalité française serait une formalité. Je devais bien être inscrit sur un registre quelconque, stipulant que j’étais français. Mais non, et, selon les termes du rat, il fallait que je « prouve ma Nationalité française ».

Ma première réaction fut l’étonnement. Puis j’ai essayé de réfléchir dans une logique administrative et je lui ai demandé :

« – Mais si je peux vous fournir un certificat de nationalité française de mon père, est-ce que ça peut marcher ?

– NON. Il me faut tous les actes cochés sur ce formulaire.

– Mais c’est ahurissant ! J’ai besoin de mon passeport rapidement. J’ai déjà attendu deux semaines avant d’avoir mon acte de naissance. Il me faudra encore au minimum deux semaines supplémentaires pour obtenir tous ces papiers et je DOIS partir de France !

– D’accord. Si vous pouvez justifier de l’urgence de votre demande, nous la traiterons, comme il se doit, en urgence. Mais, avant cela, vous devez fournir toutes les pièces cochées sur cette liste. »

Je finis par abdiquer. Je rentrai chez moi déprimé.


Après avoir mangé sans appétit, j’appelai ma mère. Je tombai son son répondeur.


Elle me rappela deux heures plus tard. Je lui expliquai la situation, au bord de la crise de nerf.


J’ai la chance d’avoir une mère rassurante, en toutes circonstances.


Elle me dit qu’elle se chargerait de faire la demande d’une partie des actes et qu’elle me scannerait dans l’après-midi tous les actes et papiers dont elle disposait et me les enverrai par e-mail. Elle plaisanta en disant qu’on pouvait bien « leur envoyer, s’ils voulaient, une copie de notre arbre généalogique qui remonte jusqu’au XIIe siècle. »

Je passai ensuite une partie de mon après-midi à contacter les différentes mairies pour obtenir les foutus actes, manquant parfois d’éléments, comme les deuxièmes prénoms de mes arrières-grands-parents.


Deux semaines s’écoulèrent encore, avant que je ne reçoive tous les documents.


Le dernier acte me parvint un vendredi. J’attendis donc jusqu’au lundi matin suivant pour me rendre au tribunal.
 Entre-temps, j’avais recroisé le rat dans la rue Oberkampf. J’étais sorti acheter des cigarettes. Lui sortait du tribunal et se dirigeait vers une échoppe à sandwichs. En le voyant, une envie mauvaise m’était venue instinctivement.


Le lundi, je me rendis au tribunal vers 11 heures. La salle d’attente était vide. Un nouveau type, plutôt sympa, vérifiait les entrées. J’allai directement au bureau de la Nationalité. Le rat n’était pas dans sa cage. J’attendis dix minutes avant qu’il n’arrive.


Il sembla se souvenir de moi… le bon Français né à l’étranger.

Je sortis fièrement tous les actes de mon sac. J’étais maintenant sûr d’obtenir rapidement mon Certificat de nationalité française qui me permettrait de faire mon passeport et d’enfin quitter la France.


Le rat, blasé, consulta mes papiers. Le nombre d’actes que j’avais fourni ne sembla pas l’impressionner. Il les éplucha un à un, puis consulta son « Code de la Nationalité française », puis se plongea dans l’examen de mon arbre généalogique, puis revérifia les actes que je lui avais apporté. À la fin, il releva à peine la tête vers vers moi et prononça la sentence :

« – Vos actes sont incomplets. Il manque l’acte de mariage de vos grands-parents paternels.

– Mais le mariage de mes grands-parents est mentionné en marge de l’acte de naissance de mon grand-père.

– Hum…. D’accord. Mais vous n’avez pas fourni de photo d’identité. »

Je recherchai désespérément dans mon portefeuille, mais n’y trouvai aucune photo d’identité. Il était 12 h. Je lui demandai si je pouvais aller chercher une photo chez moi et revenir la lui apporter. Il acquiesça, magnanime. Je courrai jusqu’à mon appartement, quelques immeubles plus haut. Après plusieurs minutes de recherches, je finis par mettre la main sur une photo d’identité (sur laquelle je ressemblais à une sorte de sociopathe mal réveillé).


Je retournai au tribunal, muni de la précieuse photo.


Le rat était toujours là. Il me dit qu’il acceptait la photo mais que mon dossier était toujours incomplet, qu’il voulait bien le présenter en l’état au greffier en chef mais qu’il n’était pas certain de l’issue de ma requête, etc.
 J’étais à bout de nerfs. Je lui dis que mon dossier était largement suffisant et que je souhaitai qu’il soit présenté en l’état.


Avant de partir, je lui demandai combien de temps il me faudrait pour recevoir mon Certificat de nationalité. Après quelques secondes de réflexions, durant lesquelles je sentis chez lui une jubilation contenue, il me dit : « Eh bien, compte tenu de la situation, je dirais minimum trois semaines. » 
J’explosai.

« – Trois semaines ? Mais ça fait déjà près d’un mois et demi que j’attends pour avoir ce certificat. Il me faudra encore attendre deux semaines pour mon passeport, et je DOIS partir. Et ma demande de visa demandera encore au minimum un mois. C’est trop long, vous comprenez, j’espère. Plus de deux mois pour obtenir un simple passeport !
 Le rat tapota son crayon sur son bureau. Il sembla réfléchir, puis me dit : « Bon. Je vais inscrire sur votre dossier que la requête est urgente. Vous pouvez espérer recevoir une convocation d’ici, disons, dix jours.

– Convocation ?

– Oui. Vous recevrez par la poste, une fois votre dossier étudié et accepté, une convocation qui vous permettra de venir récupérer, dans ce tribunal, votre Certificat de nationalité française. »

Je ressortis du tribunal, vaincu.


Une fois, pour un petit boulot, on m’avait demandé un certificat de nationalité. C’était pour une revue de psychanalyse, des lacaniens. La trésorière de l’association, qui devait établir mon contrat de travail, m’avait demandé les pièces habituelles, copie de carte d’identité, numéro de sécurité social, etc. Mais lorsqu’elle avait vu, sur ma carte d’identité, comme lieu de naissance : Surabaya, Indonésie, elle m’avait aussitôt envoyé un mail me demandant de fournir un Certificat de nationalité française, parce que, m’écrivait-elle, « vous comprenez, la France connaît une vague de chômage sans précédent, et, en tant qu’employeur, je dois veiller à ce qu’un citoyen français obtienne le poste en priorité. » J’avais été tellement choqué, que j’avais tout fait pour que la trésorière en question se fasse virer de l’association. Ce qui s’était produit (maigre consolation). Le président de l’association, un type génial par ailleurs et lui-même né à l’étranger, m’avait appuyé dans le bras de fer.


Une semaine passa. Un matin, je trouvai dans ma boîte aux lettres une lettre dont l’enveloppe portait l’adresse du Tribunal d’instance du XIe arrondissement. Mon certificat était enfin arrivé, et en avance ! Je décidai d’aller acheter à manger chez le traiteur, pour fêter la bonne nouvelle.


En rentrant chez moi, je préparai une assiette et me versai un bon verre de vin. Assis dans mon canapé, mon plateau repas posé sur les genoux, j’ouvris la lettre… et je lus :

« Monsieur,


Lors de notre premier entretien, je vous avais établi une liste de pièces à fournir (il s’agissait de pièces d’état-civil). En l’espèce, il était souhaitable que vous me fassiez parvenir tous les documents réclamés. Faute de quoi je serais obligé de ne prendre en considération que la ligne maternelle. Pour ce qui est de votre lignée maternelle, je vous avais demandé de me fournir également l’acte de naissance de votre grand-mère (ci-joint copie de la liste des pièces). Ce que vous n’avez pas fait. J’ai dû écrire moi-même à la mairie de B. pour avoir des informations concernant votre grand-mère maternelle (le lieu de naissance), par l’intermédiaire de l’acte de mariage de votre grand-père paternel.


En ce qui concerne votre lignée paternelle, je vous avais demandé de fournir l’acte de mariage de votre arrière-grand père. Il est certes difficile d’avoir dans sa famille des informations complètes sur un arrière-grand parent, mais dans le cas de votre dossier cette demande d’acte était légitime.


Vous comprendrez je l’espère, à la lecture de ce courrier que l’on ne peut à la fois traiter la demande d’urgence et procéder à l’instruction du même dossier avec un nombre d’éléments insuffisants, lors que je suis moi-même obligé d’écrire en lieu place des justificiables pour obtenir des pièces manquantes.
 Si vous souhaitez déposer le dossier en l’état, je vous demande de bien vouloir signer l’attestation ci-jointe et d’avoir l’amabilité de ma la renvoyer. 
Sans réponse de votre part dans un délai de six mois à compter de la date de la présente lettre, il sera procédé au classement sans suite de votre dossier.
 etc. »


Mon plateau repas finit à la poubelle. Je terminai la bouteille de vin.


Et puis, je suis sorti dans la rue. Et j’ai compris une fois de plus, même si je n’avais pas besoin d’un tel exemple, pourquoi je voulais tant quitter la France.

Pierre-Olivier Capéran,
30 mars 2008.


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