Je me suis saisi d’Outre-Manche de Julian Barnes. Il traînait sur une table. Je l’aurais certainement abandonné si, en le feuilletant, je n’étais pas tombé sur le nom d’André Breton. C’est ce qui m’a poussé à lire la nouvelle Expérience. J’ignore si l’histoire est vraie ou si elle est inventée, je ne sais rien de son auteur, sinon qu’il séjourne régulièrement en France et lit Flaubert, ce qui constitue une source d’information assez banale pour un Anglais fortuné.
La seule chose qui m’a touché (le texte est abyssalement dépourvu de qualité littéraire), c’est qu’il est question d’un recueil comprenant l’intégralité des discussions de l’enquête sur la sexualité, publié en 1990 aux éditions Gallimard. Le principe en était simple : réunir quelques surréalistes, ne parler que de sexualité et le faire de la manière la plus honnête possible, hors des interventions humoristiques, nombreuses mais jamais graveleuses, précisons-le. Les surréalistes avaient beau être passablement éméchés passé 18 heures, ces jeunes gens-là savaient se tenir – sauf à « La Closerie des Lilas ».
Je sais pourquoi ce livre acheté à sa sortie m’a tant marqué : je voulais recréer les conditions d’un pareil dialogue. Elles l’ont été, mais en de beaucoup trop rares occasions (y compris avec des surréalistes, tentative malheureusement avortée). C’est qu’il faudrait les renouveler continuellement, au gré de ce que l’on découvre et de ce que l’on apprend – et on apprend sans cesse puisque l’on oublie très vite. Peut-être ai-je moi-même une part de responsabilité : je me suis toujours défié du témoignage des garçons ; je soupçonne la fanfaronnade, le mensonge, certainement à tort.
Cette enquête relève d’ailleurs beaucoup moins de l’activité surréaliste que d’un questionnement intemporel et commun aux peuples du monde entier. Et c’est dans les pays où la représentation sexuelle ne connaît plus d’entrave, qu’elle est omniprésente depuis que la pornographie est virtuellement accessible à tous, que la sexualité apparaît le moins et que son expérience est aussi peu partagée. Je ne parle pas ici des sociologues, de Libération, des pauvres humoristes français, de la publicité, des radios périphériques et de la presse à destination des adolescentes qui tous assènent les mêmes poncifs vulgaires sur les amours et la vie de couple, exposent leurs inquiétantes névroses ; j’évoque un échange de vive voix, un partage. (Pour ce qui est de partager, en lui donnant ici un autre sens, je dois reconnaître n’avoir jamais vu un seul couple faire l’amour – entendu, oui, mais jamais observé de près ou de loin. C’est tout de même un peu inquiétant.)
Sans être frappé du moindre interdit, le sujet demeure difficile à aborder, comme retenu par quelques reliquats de convenance, de bonne tenue. Ce qui est vrai aujourd’hui l’était sans doute aussi dans l’entre-deux-guerres, au moment où « T.F. » se voyait contraint de répondre aux questions pressantes de quelques aventuriers avides de crever ce mur du silence.