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14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 16:33


« Restauration du patrimoine : la leçon de l’hôtel Lambert »
Par Florence Evin
Le Monde
du 6 février 2010

 

La restauration dans les règles de l’art d’un monument historique à usage d’habitation est une aventure délicate. Apporter un confort dernier cri à un édifice classé peut porter atteinte à son intégrité patrimoniale. Gommer les strates de l’Histoire pour revenir à un état initial supposé de l’édifice, c’est aller contre la charte de Venise (1964), qui préconise de conserver les traces de son évolution. Ces problématiques, l’affaire de l’hôtel Lambert vient de les éclairer brutalement.

Les travaux envisagés sur ce joyau du XVIIe siècle, bâti à la proue de l’île Saint-Louis à Paris par Louis Le Vau – qui a agrandi Versailles – pour Jean-Baptiste Lambert, secrétaire de Louis XIII, ont été très contestés. Après douze mois de polémique et un jugement au tribunal administratif qui annula l’autorisation ministérielle, l’affaire s’est soldée par un compromis. Un cas exemplaire qui pose les limites d’une intervention sur un édifice classé monument historique.

Revenons sur les faits. Le protocole d’accord, signé le 22 janvier, entre le ministère de la Culture, la Mairie de Paris, le propriétaire de l’hôtel Lambert, représenté par Cheikh Hamad Al-Thani, neveu de l’émir du Qatar, et l’association Paris Historique, met fin au contentieux. Le projet initial de réhabilitation qui prônait un retour à l’état supposé du XVIIe avec une modernisation très pointue du confort intérieur, jugé trop brutal, a été sérieusement amendé.

Préciser le détail du compromis est révélateur. Le propriétaire a renoncé au parking souterrain et à l’ascenseur à voitures sous la cour d’honneur. Les conduites techniques passeront sous les planchers, sans affecter les décors - certains signés Le Brun et Le Sueur. Le cabinet XVIIe au plafond historié garde sa cheminée. Il ne sera pas transformé en salle de bains… mais il accueillera un ascenseur pour desservir le sous-sol.

La galerie néogothique de Jean-Baptiste Lassus, aménagée au XIXe par le prince Czartoryski, où se réunissait le Paris romantique avec Chopin et Delacroix, sera finalement préservée. Le parapet du jardin suspendu, qui souligne la courbe du fleuve, ne sera pas rehaussé ; enfin, moins de 10 % des pierres de la façade et non 40 % comme il était craint, seront changées.

Tout avait commencé sous les meilleurs auspices. En juillet 2007, le baron Guy de Rothschild, qui l’occupait depuis trente ans, vend l’hôtel Lambert au frère de l’émir du Qatar, que l’on dit grand amateur d’art français. Le propriétaire qatari est prêt à mettre le prix nécessaire à une restauration exemplaire – qui pourrait atteindre 40 millions d’euros.

À l’ampleur des travaux envisagés par l’architecte en chef des monuments historiques, la Commission du Vieux Paris – commission municipale centenaire – répond par un avis défavorable. Bertrand Delanoë, maire de Paris, alerté, émet des réserves. Christine Albanel, alors ministre de la Culture, accepte le projet, avec des modifications. Celles-ci sont jugées insuffisantes par l’association Paris Historique, qui obtient gain de cause devant la justice… et ainsi de suite jusqu’au compromis.

Les experts du patrimoine sont montés au front, relayés par les sommités des arts et des lettres et la vox populi, jusqu’à faire mouche. La mobilisation populaire, de tout bord, s’est illustrée par une pétition de 8 000 signatures : du simple citoyen à l’académicien, jusqu’à Michèle Morgan, qui y habita, comme le claironnaient les Bateaux-Mouches. Par sa position en balcon sur la Seine, ce fleuron du Grand Siècle est chéri des Parisiens. Il ne se dérobe pas entre cour et jardin comme le dicte l’usage, mais exhibe sa galerie en abside, au su et au vu de tous.

Si tous les feux étaient braqués sur l’hôtel Lambert, il n’en sera pas de même pour les monuments historiques dont l’État, en manque d’argent, cherche à se débarrasser – hôpitaux, tribunaux, prisons, ministères… comme l’hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris, bientôt libéré par l’armée et au sort incertain. Avec quelle éthique, selon quels principes, ces édifices seront-ils découpés, modernisés ? Au profit de tous, comme c’est le cas à Saint-Macaire (Gironde), dont les habitants se sont réappropriés leur cité médiévale ? Pour une poignée d’investisseurs friands de défiscalisation ? La décentralisation envisagée des monuments de l’État pourrait se terminer en vaste braderie.

Sur les cent édifices gérés par le Centre des monuments nationaux, vingt ont été choisis – dont les châteaux Bussy-Rabutin (Côte-d’Or), Carrouges (Orne), Cadillac (Gironde) – pour être aménagés, en partie, en hôtels et restaurants : il faut les rentabiliser. Quelle sera la doctrine en matière de sécurité, d’économies d’énergie, de respect des normes en vigueur ? « Transformer en bouteille Thermos une construction ancienne en l’isolant totalement c’est une hérésie qui condamne un bâtiment centenaire à une détérioration rapide », note Michèle Prats, vice-présidente d’Icomos France.

Ce conseil international des monuments et des sites de l’Unesco a préconisé, en décembre 2009, la plus grande prudence et suggère des mesures d’exception pour le patrimoine. Une directive européenne laisse la liberté aux administrations d’écarter du champ les monuments « protégés ».

Comme quoi l’affaire de l’hôtel Lambert soulevait de vraies questions.

Florence Evin

 

La Charte de Venise, dont il est fait mention au début de l’article, est disponible ici.

 

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