Vous ne verrez pas Lee Harvey Oswald dans Peep Show
Il est rare de rencontrer un chef-d’œuvre cinématographique sur lequel n’a pas encore été versé des tonnes de commentaires ; la découverte du moyen-métrage de J. X. Williams, Peep Show, avait ceci d’émouvant que rien ne me prédisposait à voir un film aussi singulier.
Peep Show est avant tout un polar. Je fais référence à la littérature américaine hard-boiled de Dashiell Hammett et Raymond Chandler ; comme eux, J. X. Williams s’interroge sur la société de son temps et s’attache à décrire ce qui, au milieu des années soixante, constituait sans doute le plus grand traumatisme que l’Amérique ait connu (ceci avant que le pays ne se perde au Vietnam) : l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Partant des relations troubles du président avec la mafia, Williams convoque les figures de Frank Sinatra, Sam Giancana, Bobby Kennedy, J. Edgar Hoover de la CIA, Fidel Castro (ne perdez jamais de vue que tous ces gens sont encore en vie à l’époque !), expose en détail le sexe, la drogue, la violence qui font partie de ces affaires, le tout dans le décor d’un Chicago nocturne et interlope.
Si la démarche de Williams évoque celle du polar, c’est aussi le dernier Film Noir, un genre en vogue à Hollywood à partir des années quarante, avec un décalage de plusieurs années sur les œuvres de Howard Hawks, John Huston et Orson Welles. Welles est d’ailleurs une référence revendiquée par Willliams, tant par l’emprunt extrêmement court à l’un de ses films (mais lequel, The Lady From Shanghai, Mr. Arkadin, Touch Of Evil ?) que par l’emploi d’une extraordinaire voix-off et un art savant du montage qui renvoient au style du réalisteur de Citizen Kane.
Peep Show est un film de montage, et même de détournement. Détournement qu’il faut entendre ici au sens le plus politique que lui donnaient Debord et Wolman. À l’exception de quelques séquences tournées par lui, soit 5 ou 10 minutes tout au plus, ces 46 minutes sont un pillage de films préexistants, d’images d’archives et de bandes d’actualités. Le sinistre Sinatra étant très présent dans cette histoire, Williams a emprunté à Otto Preminger des séquences entières de The Man With The Golden Arm (1955), et jusqu’au générique de Saul Bass. Évoquant Cuba, il reprend des plans de Soy Cuba du grand réalisateur soviétique Kalatazov. Je ne cite que ce que j’ai immédiatement reconnu, Noel Lawrence, un spécialiste de J. X. Williams, table quant à lui, dans un entretien qui se trouve parmi les bonus, sur une bonne centaine d’emprunts.
Ce qui fait la force de Peep Show est son étonnante modernité auxquels contribuent, outre le sens du détournement, la crudité des dialogues, la violence et le réalisme des situations. La pochette du Dvd parle de l’antériorité de Williams sur les films de Coppola, Scorsese et de Palma (« Peep Show préfigure de dix ans le “nouvel Hollywood”… »). En dehors du fait que ces réalisateurs fantasment la mafia plus qu’ils ne la montrent, en particulier F. F. Coppola dans les deux premiers Le Parrain (moins dans le dernier volet) ou s’enfoncent dans une complaisance malsaine à l’égard de la violence (celle de ce crétin de Scorsese), Peep Show m’évoque plutôt une enquête sur les pratiques de Cosa Nostra aux États-Unis, lardée des visions poétiques les plus noires, un film que l’on s’attendrait à voir réalisé par Burroughs plus que par un cinéaste hollywoodien.
La gravité des faits qu’il expose – J. X. Williams laisse tout de même entendre que la mafia est à l’origine de l’assassinat de Kennedy – ne cesse d’interroger. Comment quelques mois seulement après que la commission Warren ait remis ses conclusions trompeuses, Williams qui, tout au plus, devait réaliser des pornos dans un circuit tenu par la mafia, a-t-il pu livrer des informations dont on reconnaît aujourd’hui le bien fondé ?
Le cas de Williams pose presque plus de questions que son film. Le moins que l’on puisse dire est que l’homme entretient le mystère. Personne ne peut dire qu’il connaît l’ensemble de ses films, filmographie qui reste d’ailleurs a reconstituer dans son intégralité, pour ne rien dire de ses scripts. On ignore son vrai nom et histoire de corser le tout, il semblerait que le pseudonyme J. X. Williams ait servi à d’autres ! Il serait né à Los Angeles en 1929, dans une famille juive communiste, aurait travaillé très tôt pour des studios comme scénariste et a été black-listé. Aux dernières nouvelles, il vit à Zurich en Suisse. Évidemment, ses photos sont aussi rares que ses entretiens (il en existe un en danois mené par le comédien Mads Mikkelsen – à moins qu’il ne s’agisse d’un homonyme !). Tout ceci n’est pas sans rappeler le cas de Tex Avery, avant que Robert Benayoun n’enquête sur lui : parfois, on en vient à se demander si l’homme existe vraiment.
Vous trouverez dans le fascicule qui accompagne le Dvd, sous la plume de Jean-Emmanuel Deluxe*, quelques informations qui, si elles sont plaisantes à lire, n’apportent pas grand-chose de nature à nous informer sur la genèse de ce film. Williams est-il complètement mythomane, est-ce un génial scénariste ? Réalisateur mégalomane, il n’hésite pas à prendre part à l’aventure en cours ; le narrateur de Peep Show l’évoque à plusieurs reprises – dont une, hilarante, où il égrène sa filmographie et le staff technique qui l’accompagne – ; dans le prologue, Williams se donne un rôle égal à ceux de Sinatra et Giancana ! C’est en tous les cas un authentique artiste, tout dans Peep Show tend à le prouver.
* Jean-Emmanuel Deluxe a publié fin juillet un livre sur Williams sur lequel, bien entendu, je reviendrai (J. X. Williams, Les dossiers interdits, Camion noir).
Vous trouverez parmi les bonus de ce Dvd, outre l’entretien mentionné plus haut, deux courts-métrages : le coquin The 400 Blow Jobs et le psychédélique Psych-Burn, une expérience cinématographique de 1968 qui oscille entre Carmelo Bene (Nostra Signora dei Turchi) et le Roger Corman de The Trip, plus un fragment d’origine inconnue, Fragment 306, qui n’en est pas moins beau.
Vous pouvez vous procurer le Ddv de Peep Show sur It’s Serious (le blog de Serious Publishing), vous y admirerez aussi des photos de la soirée en hommage à Williams, avec J.-E. Deluxe aux platines et votre souriant serviteur.
Le site de Serious Publishing est là.
Le fascicule de la présentation du film est ici, le flyer de la soirée-hommage à J. X. Williams est ici, et il a été question de Serious Publishing là.
Le site “The J.X. Williams Archive” qu’anime Noel Lawrence est ici.