« La Chine construit des centrales nucléaires
en zone sismique »
Par Jordan Pouille
La Vie du 25 mars 2011
(…) Inquiets des éventuelles retombées de particules en provenance du Japon, les Chinois ignorent que leur pays compte mettre en service 40 nouveaux réacteurs nucléaires, ces cinq prochaines années, conformément au dernier plan quinquennal du gouvernement, qui fait du nucléaire une priorité dans la poursuite de son développement. Aujourd’hui, 75 % de l’électricité chinoise provient encore du charbon.
Mercredi 16 mars, le premier ministre, Wen Jiabao, a toutefois annoncé le gel de 26 chantiers dans l’attente de nouvelles inspections. « Mais celui de la centrale Areva de Taishan, déjà bien avancé, n’est pas concerné par cette décision », a déclaré, à La Vie, Antoine Zhang, le vice-président d’Areva Chine. L’empire du Milieu dispose actuellement de 13 centrales nucléaires en activité. La plupart sont construites le long des côtes, dont certaines soumises à des risques sismiques ; c’est le cas de celle de Taishan, actuellement en construction, où nous sommes allés à la rencontre de la population locale, déplacée…
« Réacteurs contre pêcheurs : les déplacés de la centrale »
Par Jordan Pouille
La vie du 24 mars 2011
Le français Areva construit sa 11e centrale à Taishan. Avec des conséquences humaines et écologiques désastreuses, et dans une zone sismique ! Un reportage exclusif.
(…) Achetée 8 milliards d’euros par la Chine à Areva, fin 2007, la centrale de Taishan constitue « le plus important contrat commercial signé dans le nucléaire civil ». EDF est même associée à la Chine pour exploiter la future centrale.
(…) Jiang Hai Sheng, professeur de biologie à l’université de Canton, se rendait deux semaines par mois sur Dajin, pour y étudier sa formidable biodiversité. Avec ses étudiants, il surveillait une quinzaine de dauphins blancs ou hoi tuen (cochons de mer). En 2007, Jiang Hai Sheng a demandé au gouvernement de transformer Dajin en sanctuaire pour cette espèce menacée. Il a essuyé un refus catégorique et l’accès à l’île lui est désormais interdit. À cause des travaux en cours, l’eau est devenue trouble et les dauphins ont disparu. Jiang Hai Sheng, lui, est contraint au silence. « Vous ne savez pas ce qui peut m’arriver si je parle », grogne-t-il au téléphone.
Seule fait foi l’étude d’impact environnemental d’Areva, que nous nous sommes procurée. Elle multiplie les euphémismes et emploie le conditionnel : « Les travaux touchant la mer pourraient affecter la réserve protégée de dauphins blancs, et des mesures de réduction sont en cours d’étude. » Ou encore : « Les effluents radioactifs n’auraient pas d’impact remarquable sur les organismes de l’océan dans la mer environnante. » Mais Taishan est-il à l’abri d’une catastrophe comme celle en cours à Fukushima, au Japon ? Le 7 juillet dernier, un séisme de magnitude 3,1 a fait légèrement trembler Taishan. Avant, le 3 décembre 1997, un séisme atteignait une magnitude de 4,3 au même endroit, contre une magnitude de 4, le 4 juillet 1970. Plus grave, le 25 juillet 1969, un séisme de magnitude 6,4 s’est produit 110 km plus loin, tuant 3 000 personnes. L’épicentre était à Yangjiang, où l’on achève là aussi la construction d’une centrale nucléaire : un modèle chinois – le CPR 1 000 – inspiré des centrales françaises de la fin des années 1970…
Interrogé sur les risques sismiques à Taishan, Antoine Zhang, le vice-président d’Areva Chine, a finalement répondu au bout de quelques jours : « Pour l’instant, nous ne pouvons vous donner que la réponse suivante : la Chine est un pays expérimenté dans la construction et l’opération de centrales nucléaires. L’EPR a été développé pour respecter toutes les obligations réglementaires antisismiques. » Fait plutôt troublant : le site internet chinois d’Areva reste muet sur les événements de Fukushima et le dernier rapport sur l’état d’avancement du chantier des deux réacteurs EPR de Taishan n’est plus en ligne.
(…) À l’entrée du chantier, les tonnes d’immondices s’accumulent jusqu’à une rivière, où s’abreuvent les vaches des paysans, démentant là encore les promesses d’Areva : « Les déchets solides et les eaux usées seront collectés par l’agence locale. Ils n’auront pas d’effet néfaste sur l’environnement. »
Un autre article de Jordan Pouille, sur Ai Weiwei cette fois, figure ici.