« Ai Weiwei libéré : à quoi joue
le gouvernement chinois ? »
par Benjamin Gauducheau, Aujourd’hui la Chine du 23 juin 2011
Ce matin, le net chinois est presque vide de tout commentaire sur la libération d’Ai Weiwei. Seule la dépêche officielle, lapidaire, est disponible. À l’étranger, on s’interroge sur les raisons de cette soudaine libération.
Trois paragraphes, courts et accusateurs. « Ai Weiwei a été relâché sous caution pour s’être bien conduit en confessant ses crimes, et à cause de la maladie chronique dont il souffre ».
Comme toujours dans les cas « sensibles », le département de la propagande a assuré pour la libération d’Ai Weiwei un contrôle strict de l’information : aucun média chinois n’est autorisé à évoqué la nouvelle autrement qu’en recopiant la dépêche officielle.
C’est donc la seule chose que la plupart des Chinois apprendront de l’affaire, d’autant que la toile a été scrupuleusement verrouillée, et que ce matin, il semble bien qu’aucun espace d’expression à l’intérieur de la grande muraille du web n’ait été négligé par les censeurs.
Le seul endroit où les internautes ont pu commenter sa libération est le forum d’un site nationaliste, créé pendant les jeux Olympiques pour protester contre le traitement des médias occidentaux de la situation au Tibet. Mais les commentaires ne sont guère sympathisants.
« C’est un gros tas d’ordure, il faut qu’il retourne aux pays des gros tas d’ordure (les États-Unis, ndlr) », écrit un internaute, rejoint par un autre : « Je suis sûr qu’il va aller se réfugier à l’ambassade des États-Unis ».
Retour au bercail
À l’étranger, où l’artiste jouit d’une popularité certaine, la nouvelle n’a laissé personne indifférent. Hier, lors du retour de M. Ai à son studio de Caochangdi, près de Pékin, quelques médias étaient présents, rapidement rejoints par de nombreux autres.
Peu loquace, il a déclaré qu’il allait bien, qu’il était content d’être rentré chez lui, mais que les conditions de sa libération sous caution exigent qu’il ne fasse aucun commentaire.
Il a cependant précisé que selon les termes de son arrangement avec les autorités, il ne pourrait pas s’exprimer dans les médias, y compris sur Twitter, pendant « au moins un an », rapporte le Wall Street Journal.
Sur Twitter, justement, où Ai Weiwei est suivi par environ 88 000 personnes et où les rumeurs de sa libération s’étaient multipliées dans la journée d’hier, les commentaires sont allés bon train.
Mais si certains ont laissé éclater leur joie, d’autres, plus pragmatiques, ont rappelé que quatre de ses associés étaient encore détenus dans des lieux inconnus, tout comme au moins 130 personnes, également victimes de la vague de répression qui sévit en Chine depuis quelques mois.
Une étape importante ?
Ai Weiwei est donc libre, au moins partiellement, et les prochains jours nous diront à quel point il dispose de sa liberté de se déplacer et de parler. En attendant, les commentaires se multiplient, depuis hier, sur cette libération surprise.
« La décision du gouvernement chinois d’arrêter Ai Weiwei était politique, celle de le libérer l’est aussi, a estimé Sophie Richardson, porte parole de l’ONG Human Right Watch. Mais c’est aussi un exemple de comment marche la pression internationale, puisque Pékin payait à un prix élevé pour sa réputation sa détention ».
« Sa libération peut être vue comme un geste symbolique du gouvernement pour détourner des critiques grandissantes, écrit pour sa part Amnesty International dans un communiqué, ajoutant que cela représente une « étape importante », mais que « sa longue détention sans charge a violé les procédures légales propres à la Chine ».
Cela, tous les commentateurs s’accordent à le dire : le cas d’Ai Weiwei a démontré à quel point la Chine n’est pas un État de droit.
Cependant, pour Jerome A. Cohen, spécialiste en droit chinois de l’Université de New-York qui revient en détail dans une note sur la situation légale d’Ai Weiwei, sa libération sous caution est « une excellente nouvelle, et sans doute la meilleure issue que l’on pouvait espérer dans les circonstances de ce cas difficile ».
Mais au-delà de ces considérations, des questions subsistent, et l’on se demande surtout pourquoi le gouvernement chinois a pris la décision de relâcher Ai Weiwei, et pourquoi maintenant.
On note ici et là que cela survient deux jours avant une visite en Europe du premier Ministre Wen Jiabao qui se rendra en Allemagne et en Grande-Bretagne, deux pays où le soutien à l’artiste a été conséquent.
Depuis sa détention, M. Ai s’est en effet attiré la sympathie d’un grand nombre de personnes hors de Chine, et sa libération avait été réclamée par de nombreuses personalités.
Les pressions occidentales auraient-elles donc marché ? Difficile à dire. Mais il probable qu’en libérant Ai Weiwei, devenu depuis sa détention un symbole à travers le monde, les autorités s’assurent à peu de frais que la vague de répression sans précédent qui frappe actuellement le pays tombe dans l’oubli.
Voir la vidéo et les liens avec les citations ici.
Un article de Libé/AFP ici. Celui du Monde d’hier là.
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