Il me faut ajouter quelques commentaires sur les reconstructions qui ont lieu à Pékin ces derniers mois.
Je veux dire un mot sur les conditions des ouvriers du bâtiment car elles sont déplorables. Il est nécessaire de d’abord distinguer les ouvriers détenteurs d’un savoir-faire de ceux, dépourvus de qualification, qui sont employés aux tâches les plus ingrates. On retrouve les premiers sur de petits chantiers, de la taille d’une maison individuelle ; c’est ce genre de travaux que je photographie ces temps-ci. Les seconds sont engagés sur des constructions plus conséquentes, comme les buildings, suivant le roulement des trois-huit.
Dans les petites constructions, les ouvriers engagés dorment sur le chantier même. Au bout de ma rue, des ouvriers se sont construit un abri de fortune mêlant tôle, planches et bâches. Ailleurs, dans un autre chantier, ils s’abritaient dans les parties déjà construites. On ne peut s’empêcher de souligner l’inconfort, la promiscuité et le manque d’hygiène que cela entraîne. Pourtant, ces conditions, aussi misérables nous semblent-elles, passent pour relativement « privilégiées » : au moins font-ils l’économie des frais de logement.
Lors de mon premier séjour à Pékin, en novembre 2007, j’ai pu entrer dans un bâtiment voué à la destruction, là logaient des dizaines de paysans fuyant la campagne et sa misère pour s’enrôler dans les chantiers des grandes villes. Or c’est leur employeur qui leur louait cet « espace ». L’endroit était inqualifiable. Au milieu de la cour, il y avait une montagne d’immondices. Les hommes, on appelle ces esclaves modernes, frères en misères de ceux de Dubaï, les mingong, s’entassaient sur des planches et partageaient ces couches selon leur rythme de travail, il y avait donc en permanence des ouvriers qui se reposaient.
Ce racket, assez courant, n’est pas la seule injustice. Parfois – j’avoue ignorer si la chose est rare ou très fréquente – on applique pour principe de ne payer les ouvriers qu’à la fin du chantier. Vous me voyez venir ? Effectivement, il est arrivé que des patrons se sauvent avec la caisse une fois le bâtiment achevé. Pour arriver à cette paye, encore faut-il ne pas avoir rencontré d’accident : les consignes de sécurité avoisinent le zéro. Il suffit de lever la tête pour s’en rendre compte. J’ai vu des ouvriers travailler la nuit, en extérieur, par moins vingt degrés.
Le dernier commentaire que je voulais ajouter a été soulevé par plusieurs défenseurs du vieux Pékin qui est, comme vous ne l’ignorez plus, en voie d’extinction, pris dans une spirale destructrice sans équivalent dans l’histoire de cette ville. Ne disposant personnellement d’aucun élément d’enquête ni d’études de terrain, je vais citer la conclusion d’un article que mon amie Frédérique vient de publier sur le site Aujourd’hui la Chine.
« Et le combat est loin d’être terminé. À l’heure où l’on constate dans tous les hutong de la capitale une vague de réhabilitation des maisons des habitants, Huaxinming tire la sonnette d’alarme. “C’est une occasion pour les autorités de refaire de nouveaux enregistrements des terrains. Toutes les constructions ajoutées pendant la révolution culturelle dans les propriétés ne sont plus comptées comme appartenant aux propriétaires. Vous avez donc des propriétaires qui se retrouvent avec des constructions chez eux, dans leur cour, mais qui ne sont plus à eux et, disent les autorités, le terrain sur lequel elles reposent ne leur appartient plus non plus” s’insurge Huaxinming. »
(« Un livre pour en finir avec la complaisance face aux expulsions » par Frédérique Zingaro, http://www.aujourdhuilachine.com/actualites-chine-un-livre-pour-en-finir-avec-la-complaisance-face-aux-expulsions-11111.asp?1=1)
Pour un aperçu des conditions de travail des mingong et des autres catégories dans la Chine contemporaine, je renvoie à l’enquête de Hsi Hsuan-Wou et Charles Reeves, China Blues, paru chez Verticales il y a tout juste une année.