« Lourde condamnation pour le dissident
chinois Liu Xiaobo »
par AFP repris dans Aujourd’hui la Chine le 25 décembre 2009
Le verdict était attendu ce matin : pas de clémence pour Liu Xiaobo qui a commis un crime visiblement impardonnable, demander la démocratie pour son pays.
Manifestation en faveur de la libértion de Liu
à Hong Kong le 24 décembre 2009 (Reuters)
Le dissident chinois Liu Xiaobo a été condamné vendredi à 11 ans de prison pour « subversion », plus d’un an après avoir publié un texte réclamant la démocratie en Chine, a annoncé à l’AFP un de ses avocats.
Sa femme, Liu Xia, qui n’avait pas pu assister au procès mercredi, était cette fois présente et a pu le voir après le verdict, pour la première fois depuis mars.
« Il était très calme, nous nous sommes vus pendant dix minutes et nous étions tout sourire quand nous nous sommes parlés. Je gardais le sourire pour qu’il puisse être calme », a-t-elle dit à l’AFP.
Selon elle, son mari a décidé de faire appel.
« Il rencontrera ses avocats lundi pour préparer l’appel », a-t-elle dit.
L’appel peut être déposé dans un délai de dix jours à partir de samedi, a précisé l’un de ses avocats, Ding Xikui.
Un autre de ses avocats Mo Shaoping a indiqué à l’AFP que Liu a également été privé de ses « droits politiques pendant deux ans ».
« Nous sommes en désaccord avec ce verdict, car nous avions plaidé non coupable », a-t-il affirmé.
Liu, 53 ans avait comparu mercredi durant deux heures et demie pour « subversion du pouvoir de l’État » après avoir été l’un des auteurs de la « Charte 08 », un texte réclamant une Chine démocratique.
Cité par l’agence officielle Chine Nouvelle, le tribunal a affirmé « avoir suivi strictement la procédure judiciaire dans cette affaire et protégé pleinement les droits à la défense de Liu ».
« Le procès était ouvert au public. Deux avocats ont défendu Liu et sa famille était présente », a ajouté un communiqué du tribunal, cité par Chine Nouvelle.
Les journalistes et diplomates étrangers n’ont pas pu assister au procès mercredi, ni à la lecture du verdict vendredi.
Le verdict a été prononcé le jour de Noël, une période festive en Occident généralement utilisée par les autorités chinoises, selon les militants des droits de l’Homme, pour régler les cas des dissidents.
En 2007, Hu Jia avait ainsi été arrêté un 27 décembre, puis accusé de subversion avant d’être condamné.
Un an plus tôt, c’était l’avocat Gao Zhisheng qui avait été accusé puis condamné à trois ans de prison juste avant Noël.
Un homme engagé
Liu Xiaobo est un intellectuel chinois de renom, critique du régime communiste et ancienne figure de proue du mouvement démocratique de Tiananmen en 1989.
Liu, qui aura 54 ans le 28 décembre, a déjà été emprisonné à plusieurs reprises pour ses convictions démocratiques.
En 1989, de retour des États-Unis, où il avait enseigné à la Columbia University de New York, cet enseignant de l’Université normale de Pékin, plutôt critique des valeurs traditionnelles chinoises prônant vertu et obéissance au pouvoir, participe au mouvement démocratique de la place Tiananmen, déclenchée par les étudiants.
Face au durcissement du régime, il entame une grève de la faim sur la célèbre esplanade de Pékin en compagnie du chanteur Hou Dejian et de deux autres intellectuels, Zhou Duo et Gao Xin.
« Nous préférons avoir dix diables qui se contrôlent mutuellement plutôt qu’un ange disposant du pouvoir absolu », écrivent-ils dans une déclaration publique, critiquant également au passage certains des étudiants qui ont oublié les idéaux démocratiques dans leur lutte.
Dans la nuit du 3 au 4 juin, lorsque l’armée s’avance pour dégager le lieu, ils tentent une médiation pour obtenir une évacuation pacifique. Arrêté après la répression du mouvement, il passera un an et demi en prison sans jamais avoir été condamné.
Il a de nouveau des ennuis avec le régime et est envoyé dans un camp de rééducation « par le travail » entre 1996 et 1999 pour avoir réclamé une réforme politique et la libération de ceux toujours emprisonnés pour avoir participé au mouvement de juin 1989.
Exclu de l’université, il devient un des animateurs du Centre indépendant Pen Chine, un regroupement d’écrivains. Il garde un contact étroit avec le monde intellectuel et même s’il ne peut pas être publié en Chine, ses livres, notamment « Le Noble paradis du pouvoir, enfer pour l’humble », sont notamment diffusés à Hong Kong.
Il y a un an, à l’occasion du 60e anniversaire de la déclaration des droits de l’homme, il fait partie des 300 signataires de la « Charte 2008 », un texte qui appelle au respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression et à l’instauration d’élections pour un « pays libre, démocratique et constitutionnel ».
Dans une interview publiée l’année dernière, il gardait espoir.
« Cela va progresser très lentement, mais les demandes de liberté – de la part des gens ordinaires mais aussi des membres du Parti – ne seront pas faciles à contenir ».
Selon lui, le Parti communiste sera obligé de s’ouvrir de plus en plus.
« Il a déjà fixé une date pour les réformes politiques à Hong Kong. Et dans quatre ans, ce ne sera pas un homme fort qui sera désigné secrétaire général du Parti au Congrès. Cela signifie qu’il y aura plusieurs factions qui devront développer de meilleures règles pour nommer leur chef », disait-il.
Liu Xiaobo est marié et n’a pas d’enfants.
La « Charte 08 », inspirée du combat des
intellectuels de l’Europe de l’Est
La « Charte 08 », appelant à des réformes démocratiques en Chine et signée initialement par plus de 300 personnes, intellectuels et militants, a comme modèle la Charte 77 des dissidents tchécoslovaques des années 70.
Elle réclame le respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression et l’instauration d’élections démocratiques pour un « pays libre, démocratique et constitutionnel ».
Publiée le 10 décembre 2008, elle réunit aujourd’hui plus de 10 000 signatures, selon le réseau China Human Rights Defenders.
Selon l’avocat de Liu Xiaobo, c’est l’une des pièces à conviction utilisées par les autorités pour le poursuivre pour « subversion du pouvoir de l’État », une accusation généralement invoquée pour museler les voix dissidentes, selon les associations des droits de l’homme.
« C’est une réalité politique que tout le monde peut constater, la Chine dispose de lois mais pas d’État de droit, elle a une Constitution mais pas de gouvernement constitutionnel. L’élite au pouvoir continue à s’accrocher à son pouvoir autoritaire », souligne le texte de la charte.
Elle plaide notamment pour une « nouvelle Constitution », une « séparation des pouvoirs », une « démocratie législative », une « justice indépendante », un « contrôle public des fonctionnaires », la « garantie des droits de l’homme » et l’« élection des responsables publics ».
Réclamant un plus grand respect de l’environnement, ses auteurs soutiennent une « république fédérée » afin de respecter les minorités chinoises.
Enfin, le texte demande aussi une « Commission d’enquête pour la vérité », comme dans l’Afrique du Sud de l’après-apartheid, afin de faire la lumière sur les différents épisodes de répression politique et indemniser leurs victimes.
« Notre système politique continue à produire des désastres pour les droits de l’homme et des crises sociales, limitant non seulement le propre développement de la Chine mais aussi le progrès de toute la civilisation humaine. Cela doit changer, vraiment. La démocratisation de la politique chinoise ne peut plus attendre », conclut la « Charte 08 », qui souhaite « apporter un nouveau chapitre éclatant à la civilisation chinoise ».
AFP
Liu et son épouse
Vous pouvez consulter une traduction du texte de la Charte 08 sur le blog de Pierre Haski, ici ; les conséquences de cette charte sont évoquées là, toujours sous la même signature.