« De A à Z, en passant par Q »
Par Patrick Morier-Genoud, L’Hebdo du 10 août 2011
La pornographie est souvent décriée, rarement dépeinte. De À bout de sexe à Zob, zob, zob, un dictionnaire recense et documente le cinéma pornographique et érotique français de ces cent dernières années. Une belle occasion de lutter contre pas mal de préjugés.
La pornographie, tout le monde voit ce que c’est, mais personne n’en regarde. Ou alors juste une fois, pour « se faire une idée ». Une idée en réalité déjà toute faite : la pornographie, c’est sale, c’est dégradant, c’est dégoûtant. Il y a peu de choses dont tout le monde parle de manière aussi définitive sans savoir réellement de quoi il s’agit.
Pourtant, sous toutes ses formes d’expression, la pornographie est un genre varié, riche et passionnant. Un genre qui, comme les autres, contient le meilleur comme le pire, reflète les préoccupations du temps, l’évolution ou la régression des pensées et des mœurs.
Par ordre alphabétique. Christophe Bier connaît bien le sujet. Acteur, réalisateur, auteur, éditeur, sa culture cinématographique est immense. Il y a douze ans, il se lançait, avec une vingtaine de complices, dans le projet de répertorier les films érotiques et pornographiques français tournés en 16 et 35 mm et de les réunir dans un dictionnaire.
« L’ambition n’est pas d’écrire un guide, mais bien cette évolution des représentations de la sexualité et du désir, et les différents courants érotiques et pornographiques, à travers une recherche documentaire systématique », écrit-il dans sa préface.
Le résultat est époustouflant : un ouvrage de plus de 1 200 pages, 1 813 fiches détaillées pour autant de films, de À bout de sexe à Zob, zob, zob. Des fiches agréablement écrites, parfois étonnantes, souvent drôles, faisant de la flânerie aléatoire le moyen le plus agréable de parcourir l’ouvrage, d’y faire d’épatantes découvertes.
Érotisme ou pornographie ? Le dictionnaire de Christophe Bier (sans doute un jour dira-t-on « Le Bier » en s’y référant) recense, comme son nom l’indique, des films érotiques et des films pornographiques. Comment fait-on la différence ?
Autant la pornographie est honnie par les bien-pensants, autant l’érotisme est considéré comme un raffinement, comme un aiguillon du désir. Mais attention : un aiguillon qui ne pénètre ni par-devant ni par-derrière, et surtout pas en gros plan.
Une différenciation n’a pourtant pas vraiment de sens, si ce n’est celui de distinguer l’acceptable de l’inacceptable, en fonction de l’époque. « La frontière entre érotisme et pornographie peut s’avérer floue, précise Christophe Bier. Dans les années charnières 1972-74, le cinéma français oscille entre les deux notions, passant d’un érotisme hard à une pornographie soft, mélangeant parfois les deux ou produisant une œuvre hard que les ciseaux de la censure rendaient soft. Le terme même de pornographie est utilisé très tôt pour condamner des films aujourd’hui visibles par tous. »
Ainsi, en 1953, Un caprice de Caroline chérie, avec Martine Carol, est-il condamné par le cardinal de Lyon pour pornographie. Pour résumer, disons simplement que, contrairement à l’érotisme, la pornographie est obscène, et que c’est là sa grande qualité.
Clandestin, libéré, puis classé X. Quand naît le cinéma porno ? En même temps que le cinéma, pardi ! Dès le début, certains films présentent une sexualité plus ou moins suggestive, tandis que d’autres, clandestins, n’y vont pas par quatre chemins. Vers la fin des années 60, les mœurs se relâchent, et au début des années 70 le cinéma pornographique s’affiche, libéré, dans Paris.
Las, cela ne va pas durer bien longtemps. Le 31 octobre 1975, la loi du classement X est votée en France. Censure économique, elle oblige les films catalogués pornographiques à être diffusés dans des salles spécialisées, majore pour eux la TVA de 20 % et leur supprime tout droit au soutien automatique.
« Les contraintes budgétaires et la vague répressive de 1982-83 ont poussé de nombreux exploitants à contourner la réglementation du cinéma et à échapper à la loi X au moyen de la vidéo », expose Christophe Bier. La loi X ne s’applique en effet pas à la vidéo, même porno, laquelle prendra à cette époque un essor considérable, auquel mettra fin l’arrivée de l’internet.
Internet et récupération. On parle souvent de l’industrie du porno. Elle existe bel et bien, et voilà qui n’est pas plus réjouissant que l’élevage des poulets en batterie. Surfant sur l’internet, les spectateurs sont devenus des consommateurs, auxquels on sert de la pornographie aux physiques formatés et épilés. Classés par catégories – sodomie, fétichisme, gay, milf (mother I like to fuck), etc. – des extraits de quelques minutes servent de fonds visuels et sonores à l’activité masturbatoire.
« Le récit pornographique s’est raréfié », déplore Christophe Bier. Auparavant, l’amateur sortait de chez lui, pour aller dans un cinéma ou au vidéoclub ; la pornographie, même classée X, était dans la cité. Aujourd’hui, la voilà récupérée et réduite, condamnée à être un produit de consommation, ce qui est la forme la plus pernicieuse de censure qu’elle n’ait jamais subie.
Ceux qui résistent. À une époque où l’on montre de plus en plus le spectacle de la pornographie dans le but de mieux cacher l’essence de celle-ci, Christophe Bier fait figure de résistant. Et son dictionnaire de manifeste. Pour l’éditer, il a créé, avec trois complices, les éditions Serious Publishing.
Plusieurs projets sont en cours, mais signalons déjà le DVD J.X. Williams. Il s’agit d’une pure merveille, sauvant de l’oubli un étonnant réalisateur américain, auteur notamment de Peep Show, un film de 1965, « novateur sur bien des points, pornographique, sulfureux et sans concession vis-à-vis de la mafia ».
Oui, la pornographie peut aussi être une résistance, une conquête de liberté. Comme l’exprime Laure, le personnage de Déjà mort, un des films présenté dans le dictionnaire : « Je veux que la fierté et la honte se mélangent. Je ne suis plus une petite fille qui écoute ses parents. Maintenant, ce corps m’appartient. Plus de sentiments. Plus de larmes. Je suis libre. »
Pour commander le Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques 16 & 35 mm (89 euros + port) : www.serious-publishing.fr
Il est également disponible à la Librairie-galerie Humus, rue des Terreaux 18 bis, Lausanne. www.humus-art.com
10 films marquants
L’Âge d’or de Luis Buñuel (1930) Tout à la fois œuvre clé du surréalisme et classique de l’érotisme. Interditd’exploitation pendant cinquante ans.
Ah ! les belles bacchantes de Jean Loubignac (1954) Une superbe comédie sexy, avec notamment Louis de Funès. Interdit aux moins de 16 ans à sa sortie.
Et Dieu... créa la femmede Roger Vadim (1956) Bardot nue et libre se débarrasse du harnachement fétichiste de la vamp.
Le Cri de la chairde José Bénazéraf (1962) Premier film érotique du mythique réalisateur. En février 63, il réalise les meilleures entrées à Paris, devant West Side Story.
Emmanuelle de Just Jaeckin (1974) Il y a un avant et un après Emmanuelle, un film qui rendit largement populaire le cinéma érotique.
L’Essayeuse de Serge Korber (1975) Seul film classé X à avoir été condamné à la destruction pour « outrage aux bonnes moeurs ».
Hommes entre eux de Norbert Terry (1976) Premier porno gay français, réalisé par un ancien assistant de Jacques Tati.
Le Pensionnat des petites salopes de Pierre B. Reinhard (1982) Le premier et unique porno français tourné en 3D (avec une scène d’éjaculation très attendue).
Belle salope de 30 ans de Michel Berkowitch (1996) Petit budget, mais film historique : il s’agit du dernier film pornographique français sorti en salle en 35 mm.
Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi (2000) Un film plein de rage. D’abord interdit aux moins de 16 ans, il est retiré des salles pour ses séquences hard.
Je signale que Christophe Bier donne à lire la revue de presse quasi exhaustive du Dictionnaire sur son blog.
La photo de Brigitte Lahaie vient d’ici, celle de Bardot est, bien sûr, extraite de Et Dieu… créa la femme.