Dès le 11 mai, le premier album des Stinky Toys paru en 1977 sera de nouveau disponible en Cd.
L’autre bonne nouvelle, c’est que le second et dernier album du groupe, celui à la pochette jaune (1979), va reparaître en juin, suivi en août du premier disque du duo Elli & Jacno, Tout va sauter (1980).
Présentation de la maison de disque
« Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende ». Cette réplique finale du western de John Ford, L’Homme qui tua Liberty Valance (1962), sert souvent de mot d’ordre à l’heure de conter certaines histoires. Mais pour d’autres, très rares, elle s’avère nulle et non avenue. Comme dans le cas des Stinky Toys, tenez, un groupe dont l’épopée rocambolesque tient plus du fantasme inavoué que de la simple vérité. Et pourtant…
Elle, c’est Elli Medeiros. Une jeune fille originaire d’Uruguay qui débarque à Paris en 1973. « Lycéenne en cernes, elle venait dans les murs roses de l’Open Market goûter Electric Prunes et Raw Power : le corps le plus chaud de l’ère prépunk ». Ainsi la décrit Yves Adrien. On le croit sur parole. Le printemps 1973, justement. L’époque où, lors des manifestations parisiennes contre la Loi Debré, elle le rencontre, lui. Lui, c’est Denis Quillard, alias Jacno, en hommage à sa délirante consommation de Gauloises – ce nom est celui de l’artiste français auteur du fameux logo des cigarettes. Musicien revendiquant Mozart et The Who en mètres étalons, il passe de la batterie à la guitare, un instrument « qui sied mieux à ma personnalité », et raccourcit ses cheveux, ce qui lui donne de faux airs de David Bowie – période Young Americans plus que Ziggy.
« Mon premier travail, juste avant de faire de la musique, est délinquant », raconte ce garçon qui au mitan des années 70 est l’un des Quatre Caractères, une bande d’inséparables comparses complétée par Elli, Emmanuel Albin Dériat et un certain Marc. Affublés de surnoms surréalistes (Johnnya pour elle, Oswald et Marcus Phallus pour ces derniers), ils vivent chaque jour jusqu’au bout de la nuit, au terme de laquelle naissent parfois les projets les plus capitaux. Comme celui lancé par la demoiselle : faire un groupe. Même le lendemain, une fois dissipées les vapeurs de l’alcool, l’idée séduit Jacno, lui qui n’a jamais trouvé les acolytes idoines pour mener à bien ses aspirations musicales.
L’année 1976 balbutie encore, et le punk n’est pas encore un mouvement. De toute façon, formés autour de Jacno, Elli (chant), Albin (basse), rejoints par Bruno Carone (guitare) et Hervé Zénouda (batterie), les Stinky Toys – un jeu de mots avec la marque Dinky Toys, ces voitures miniatures dont ils raffolent – n’ont que faire des étiquettes, préférant cultiver leur singularité et peaufiner entre deux fêtes trop arrosées un répertoire où se bousculent quelques originaux et reprises des Kinks, Who ou autres Rolling Stones. D’ailleurs, en se confiant à celui qui va devenir le thuriféraire de ces premiers mois d’exactions, le journaliste Alain Pacadis, Jacno avoue que son jeu est « fortement imprégné du son de Keith Richards ». Dans la moiteur du mois de juillet, au théâtre des Blancs-Manteaux, ancienne Pizza du Marais, certains vont pouvoir le constater de visu en assistant à un premier concert forcément chaotique. Forcément unique. Mais auparavant, ces jeunes gens (déjà) modernes ont croisé Malcolm McLaren dans les Halles éventrées. Le manager du plus controversé boys band de l’histoire est à ce point éberlué par le style et les épingles de sûreté que porte Elli pour rabibocher ses vêtements (l’homme finira par faire de cet objet une armoirie du punk) qu’il convie la formation à se produire à un festival programmé les 20 et 21 septembre 1976 au 100 Club de Londres. Le deuxième soir, les Stinky Toys « from France » partagent ainsi l’affiche avec les Sex Pistols, le Subway Sect de Vic Godard ou encore… Suzie (sic) & The Banshees. La prestation chaotique, livrée sur un matériel prêté par les Clash alors que Sid Vicious cherche à faire la peau à Bruno, vaut à Elli de se retrouver, non loin du Damned Dave Vanian, en couverture du sacro-saint journal anglais Melody Maker daté du 2 octobre 1976, exploit improbable quand on sait qu’il s’agit non seulement du « premier groupe français à faire la une des hebdos anglais, mais le premier non signé tout court ».
Pourtant, qu’importe telle notoriété. Si le quotidien Libération ressemble parfois à leur carnet intime, les Toys sont toujours là où on ne les attend pas. Et surtout pas au Gibus parisien, « un endroit où je n’irais même pas pisser… », clame Jacno, histoire d’assumer encore plus leurs différences avec la scène parisienne. En juin 1977, invité par Yves Saint-Laurent au mariage de son égérie Loulou De La Falaise, le groupe déjoue et Elli tient à peine debout. Un peu plus tard, ils sont au générique du long-métrage Accélération Punk, successions d’images chaotiques et orgiaques filmées par le réalisateur britannique Robert Glassman lors de la Nuit Punk organisée par le label Skydog au Palais des Glaces de Paris. Au début de la même année, invités avec la presse par le label EMI (qui caresse l’espoir de les signer) à écouter dans un train le nouvel album de Kraftwerk, Trans-Europe Express, ils éclusent les bouteilles de Champagne alors qu’Elli finit par vomir sur les tables et les invités, effrayant leurs courtisans qui finissent par dissimuler stylos et contrats. À la grande joie de Polydor, prêt à accueillir les bras grands ouverts ces gamins (ils ont à peine vingt ans) dont l’allure altière évoque les héros de la nouvelle vague et qui rejettent toujours avec véhémence « l’étiquette punk que nous collait la presse : on était un groupe de rock qui foutait le bordel, c’est tout ».
Mais c’est déjà beaucoup. Ce dont témoigne effrontément la sortie en octobre 1977 de ce premier album sans titre et à la pochette « grise ». Enregistré en quelques jours avec l’aide de l’ingénieur Patrick Chevalot, le disque est le polaroid de ces deux premières années vécues sur un rythme échevelé, habité par un désir ludique de jouer une musique dont l’urgence se fait sentir jusque dans les riffs que Jacno assène sur sa Rickenbacker. Auteur des textes de ces « petites nouvelles », Elli chante dans la langue de Shakespeare, toise et harangue sur des mélodies qui doivent plus aux girl groups des sixties qu’à ses contemporain(e)s. En à peine trente minutes et dix titres, le plus souvent menés tambour battant (le sprint de Driver Blues), le groupe assène ses uppercuts électriques, à l’instar du single Boozy Creed ou de la virevoltante Lonely Lovers – qui passera à la postérité quelques années plus tard dans une version française méconnaissable. Mais avant l’estocade finale portée par Pepe Gestapo, les Toys laissent entrevoir d’autres ambitions en signant l’aveuglant Sun Sick, une ballade préfigurant la new-wave des mois à venir. Malgré le soutien d’une poignée d’inconditionnels (les susnommés Adrien et Pacadis en tête) et de la presse spécialisée, l’album s’écoule à peine à quelque vingt mille exemplaires. « Autant que le premier album du Velvet Underground », rappellera plus tard Jacno. Mais la suite de cette incroyable aventure, c’est une autre histoire. Une autre légende.
Christophe Basterra
Paris, avril 2010
Les citations sont extraites des ouvrages Nightclubbing d’Alain Pacadis et Nos Années Punk de Christian Eudeline (tous deux chez Denoël X-Trême) et du magazine Magic – revue pop moderne.
Le texte vient d’ici. Je remercie Olivia Clavel pour la documentation.
Il est question des Stinky Toys ici et là, il y a des photos d’Elli ici.