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11 février 2009 3 11 /02 /février /2009 15:21


 

 

La Fête des Lanternes
(et celle de la CCTV)

 

Cette fête clôt les festivités du Nouvel An chinois au quinzième jour de l’apparition de la lune – la nouvelle année en Chine se base sur le calendrier lunaire. Le soir, nous sortons dans le quartier de Qianmen. L’artère principale est une rue qui a été entièrement détruite pour être reconstruite à l’identique ! Le résultat évoque la Main Street des parcs Disneyland… Il y a foule et les touristes chinois mitraillent assez bêtement les fausses façades toute clinquantes. De chaque côté de la rue principale, il reste quelques voies « anciennes » avec leurs petits restaurants, leurs petits commerces, vouées, à leur tour, à une inéluctable disparition. Jean-François Cabestan évoque « le retour en force à un façadisme plus dévastateur que jamais, qui traduit de manière poignante une absence de culture architecturale élémentaire très généralement partagée », dans son texte sur l’hôtel Lambert, à lire plus bas. Ah, si cet ardent avocat de la cause architecturale pouvait plaider celle des hutongs !

 

Tout le quartier a d’ailleurs été rasé laissant place à une vaste zone abandonnée où règne la désolation. La traversée nocturne de ce coin est un choc, car en l’absence d’habitant, il n’y a plus d’éclairage public, ce qui renforce son côté no man’s land. Et ce alors que nous nous trouvons en plein centre ville, dans un espace très vivant, et jusqu’à très récemment. Au début du XXe, il y avait des commerces, des restaurants et des attractions dans les rues qui attiraient les petites gens comme les lettrés qui venaient s’encanailler dans les bordels et les tripots.

 

Plus au sud, à la porte Yongdingmen, au lieu de l’exposition des traditionnelles lanternes en papier, de mise ce jour-là, la municipalité a installé un spectacle laser, ridicule et vulgaire, du Jean-Michel Jarre pour les pauvres. On s’est bêtement trompé d’adresse, il fallait se rendre au parc Ditan ou ailleurs. (Je donne un lien, parmi des centaines d’autres, pour voir des images de la soirée à travers tout le pays. http://www.chine-informations.com/actualite/chine-photos-de-la-fete-des-lanternes_12325.html)

 







Au même moment, l’hôtel Mandarin Oriental qui jouxte le siège de la CCTV de Rem Koolhaas, en bordure du troisième périphérique, s’embrasait pour le plus grand plaisir de Pékinois hilares venu par milliers contempler le désastre ! L’incendie aurait été causé par un feu d’artifice qui n’était pas aux normes… Les normes, ces jours derniers, tout le monde s’est un peu assis dessus. C’est peu de dire que personne ne respectait le moindre périmètre de sécurité et que les habitants faisaient n’importe quoi avec leurs pétards. Ayant en tête nos 14 juillet bien sages, j’étais effaré par tant d’inconscience. J’ai quand même vu un type gisant sur le sol après s’être fait renverser par un taxi le soir du 25 janvier, parce que, comme tout le monde, il lançait ses projectiles depuis le milieu de la rue. Mais voilà, c’est une fête populaire et rituelle (c’est assez superstitieux : on chasse les démons à grand renfort de bruits) où perdre éventuellement la tête fait pleinement partie de son déroulement.

 

Songez à un carnaval, et en particulier à celui de Dunkerque qui est assez enlevé, comptez 1,3 milliard de participants (mais sans les déguisements), mettez-le à l’échelle du continent européen, de Plougastel sur la pointe bretonne à Vladivostok, et vous aurez une idée de ce que j’ai traversé ici pendant deux semaines : la folie totale.

 

Les autorités sont parfaitement conscientes des possibles débordements et du danger qu’ils représentent ; par précaution, la place Tiananmen était bouclé le soir du 9 février. Car 2009 est l’année de beaucoup d’anniversaires. Il y a ceux que l’on va dignement fêter : les soixante ans de la République populaire de Chine et les trente ans des réformes économiques de Deng Xiaoping. Et ceux que l’on va s’efforcer d’oublier en les étouffant du mieux possible : le soulèvement du 4 mai 1919*, l’exil du dalaï-lama en 1959, la répression du mouvement démocratique de 1979 et, last but not least, la répression de celui de 1989 qui demeure un tabou majeur dans la société chinoise.

 

* L’événement en soi a toujours été mis en avant par la propagande nationaliste et communiste, mais comme il avait été détourné en 1989 par des dizaines de milliers de contestataires, le pouvoir central se méfie.

 

Donc, le lendemain, Chris m’attendait en bas de son immeuble pour se rendre en roller sur les lieux de l’incendie où des centaines de badauds prenaient, comme nous, des photos avec un petit air amusé. Le quartier où s’est déroulé ce qui restera comme le plus bel exercice pyrotechnique de la décennie est un endroit tellement épouvantable qu’il ne faut pas s’étonner de la mine narquoise du quidam. Jingguang se veut le nouveau centre d’affaires de Pékin, son édification a nécessité la destruction de quartiers d’habitation et le déplacement de milliers de familles. Dieu seul sait, c’est-à-dire personne, où les locataires ont été relogés et à quel vil prix ! Résultat : une zone où l’on ne peut plus circuler à pied normalement, l’urbanisme étant pensé pour le déplacement des seuls véhicules motorisés, et où toute vie de quartier a tout bonnement disparu au profit d’une douzaine de tours (et le double en construction) et de centres commerciaux de luxe. C’est le triomphe de la laideur et de l’inhumanité, le symbole d’une croissance à deux chiffres qui en train de prendre un méchant coup dans l’aile.  













Photos prises les 9 et 10 février 2009.



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