« Marin, un procureur très adroit »
Par Karl Laske
Libération du 30 janvier 2010
Étiqueté chiraquien, il est aussi intervenu dans les dossiers Tarnac et Dray.
« Je connais bien Jean-Claude Marin. Suffisamment pour savoir que ce n’est pas sa décision, a dit Dominique de Villepin, vendredi, sur RMC. Il ne souhaitait pas que le premier procès [Clearstream] ait lieu. Je l’ai entendu de sa bouche, il savait qu’il n’y avait rien dans ce dossier à me reprocher. » C’est vrai : Villepin connaît assez bien le procureur. Longtemps patron du parquet financier parisien, nommé directeur des affaires criminelles et des grâces en 2002, puis procureur de la République de Paris en 2004 sous Chirac, Jean-Claude Marin, 60 ans, est classé parmi les chiraquiens, même s’il s’en défend. «Je ne suis pas l’homme d’un parti, ni d’un syndicat, ni d’aucune loge, a-t-il expliqué à Libération. Je ne suis le livreur de personne».
Aux balbutiements de l’affaire Clearstream, alors que Villepin est Premier ministre – entre 2005 et 2007 –, le procureur a tendance à ferrailler avec les juges d’instruction. Ces derniers vont trop loin, sans prévenir le parquet à temps. Il écrit au président du tribunal pour dénoncer leur « attitude méprisante ». En 2006, il s’oppose aussi au placement en détention provisoire de Jean-Louis Gergorin. C’est analysé comme un signal politique.
Après l’élection de Sarkozy, sa position devient délicate. Le procureur aurait été convoqué à l’Elysée pour revoir son réquisitoire qui envisageait un non-lieu pour Villepin. Il dément. En octobre 2008, il requiert finalement un « non-lieu partiel » en faveur de Villepin pour les faits de « complicité d’usage de faux et recel d’abus de confiance et de vol », et retient la « complicité par abstention ». Celle de celui qui laissé se commettre une infraction qu’il avait les moyens de dénoncer.
Sa gestion politique des dossiers n’échappe à personne. En 2008, il annonce, de concert avec Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, l’arrestation d’une pseudo-cellule à vocation terroriste à Tarnac. Contredit par les faits, il maintient les mis en examen sous contrôle judiciaire strict, avant d’être démenti par la chambre de l’instruction. En 2009, il requiert un non-lieu général en faveur de Jacques Chirac dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. Enfin, il clôt l’enquête préliminaire visant Julien Dray par un simple rappel à la loi, après lui avoir communiqué l’intégralité du dossier, une première dans les annales judiciaires.
« Jean-Claude Marin : “J’ai une conviction” »
Par Gérad Davet
Le Monde du 30 janvier 2010
Un homme seul. Blessé. Enseveli sous les critiques, venant de tous bords. Le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, savait bien qu’il servirait de fusible. Mais pas à ce point. « Tout ceci me blesse, touche ma famille, dit-il au Monde. Tous ces gens-là ne me connaissent pas, ne savent pas les combats que j’ai menés pour cette justice financière. »
On le prétend aux ordres, prêt à tout pour terminer en beauté sa carrière judiciaire, simple marionnette dans les mains de Nicolas Sarkozy. L’appel qu’il vient d’interjeter, dans l’affaire Clearstream, a évidemment provoqué la colère de Dominique de Villepin, et ravivé les ardeurs de ses nombreux contempteurs. C’est donc la curée, comme sur le plateau du « Grand Journal » de Canal +, vendredi 29 janvier, où journalistes et animateurs semblaient subjugués par le verbe cinglant d’un Dominique de Villepin déchaîné.
« Je préfère le regard des gens de bonne foi, confie M. Marin, plus que le prêt-à-penser qui sévit dans les sphères politico-médiatiques. Ces sphères qui imaginent les magistrats comme eux-mêmes exercent leur métier… » Il a le cuir tanné, pourtant. Trente-trois années de magistrature, ça vous rôde aux difficultés.
On l’étiqueta communiste lorsqu’il exerçait à Pontoise, parce qu’il avait poursuivi un notable. Plus tard, il fut chiraquien, même si c’est Lionel Jospin, en 2001, qui le nomma à la Cour de cassation. Maintenant, il est sarkozyste. C’est ainsi, dans un pays où la justice est décriée, où la magistrature n’a pas su, non plus, donner des gages. Un pays où le parquet rend des comptes au pouvoir, tandis que l’on veut supprimer les juges d’instruction, indépendants…
« Je ne dois ma carrière à aucun homme politique, lâche M. Marin, je fuis les dîners en ville, je n’appartiens à aucun réseau. Qui sait quel bulletin de vote je glisse dans l’urne ? Je ne suis affilié à aucun parti, à aucune secte. » C’est vrai, c’est l’anti-procureur bling-bling, on le voit peu à la télévision, il part en vacances dans sa maison du Quercy, peut vous réciter le moindre article du code pénal.
Un magistrat à l’humour froid, aux saillies redoutables, dont les amitiés sont connues, dans le milieu. Même pas un réseau, de simples camarades de promotion qui n’ont certes jamais badiné avec la gauche. On ne le verra pas ripailler avec les policiers, taper sur l’épaule des hommes politiques. On l’a juste entendu sur Europe 1, avant le procès, et finalement vendredi 29 janvier, pour indiquer qu’il interjetait appel. En ces deux occasions, en homme qui sait s’affranchir de ses tutelles, il ne demanda aucune permission.
À l’automne, il énerva sérieusement l’Élysée, en allant s’expliquant au micro de Jean-Pierre Elkabbach. « J’y étais allé pour parler de l’écrivain Frédéric Beigbeder, dont les pages écrites à mon propos m’avaient révolté, je n’en dormais plus. Je n’allais pas me dérober quand il fut question de l’affaire Clearstream. Je me suis contenté de répéter mes réquisitions écrites. »
S’il fréquenta Nicolas Sarkozy, ce fut plutôt pour se faire sérieusement réprimander, avant 2007. « J’ai eu deux épisodes violents avec lui, alors qu’il était ministre de l’intérieur. Depuis, assure-t-il, je n’ai pas de relation directe avec lui. » Reçoit-il aujourd’hui des instructions du pouvoir ? « Bien sûr que non, je ne suis pas un tireur de ficelles derrière mon bureau. »
En vérité, les choses sont bien plus complexes. À ce niveau-là, on n’ordonne pas, on communique. Évidemment, Jean-Claude Marin a conversé, souvent, avec Patrick Ouart, le conseiller à la justice de Nicolas Sarkozy jusqu’à la fin 2009. Ce même conseiller à qui il doit, d’ailleurs, d’être resté en poste, en 2007, quand Nicolas Sarkozy, parvenu à l’Élysée, voulut faire place nette au parquet de Paris. On jugeait alors M. Marin peu fiable, à l’Élysée, même si ses qualités professionnelles étaient louées. Il serait devenu un serviteur zélé, en l’espace de deux ans ? Trop facile.
Dans l’affaire Clearstream, Jean-Claude Marin a beaucoup énervé le chef de l’État et ses proches, en n’épousant pas la thèse, prônée par les sarkozystes, d’un Dominique de Villepin instigateur du complot. En fin juriste, Jean-Claude Marin a soutenu que l’ancien premier ministre était surtout coupable de n’avoir pas voulu stopper la machination.
C’est cette accusation qu’il a portée devant le tribunal, pas celle de l’Élysée. Assumant même ses divergences avec son substitut à l’audience, Romain Victor, qui avait initialement conclu, dans un projet de réquisitoire, à un non-lieu pour l’ancien premier ministre. « Je lui ai dit qu’il avait fait un travail magnifique, se souvient le procureur, j’étais d’accord avec lui pour dire que M. de Villepin ne pouvait être l’instigateur de toute cette fraude. Mais il m’est apparu que M. de Villepin, en juillet 2004, a su la vérité sur la fausseté des listings, alors même que se poursuivait la dénonciation calomnieuse. »
Au terme d’une réunion, après avoir passé l’été à compulser le dossier judiciaire, feuille par feuille, M. Marin décida donc de porter l’accusation à l’audience, épargnant à Romain Victor le cauchemar de tout parquetier : requérir sans croire à sa propre thèse. « Je n’allais pas laisser un jeune substitut, quel que soit son talent, prendre une telle responsabilité, dit le procureur de Paris. Je n'avais pas à me cacher, j’y suis allé moi-même. »
L’appel du parquet ? Une décision évidente, selon lui. « Je n’ai pas changé d’opinion, le dossier apporte la preuve irréfutable qu’à la mi-juillet 2004, M. de Villepin savait que les listings étaient faux. Il n’y a pas eu de stratégie concertée avec l’Élysée. Ne retrouver devant la cour d’appel que les seuls Gergorin et Lahoud, c’était un procès tronqué. Je suis cohérent, j’ai une conviction, c’est la conception que j’ai de mon métier. »
Côté Dominique de Villepin, on dénonce un acharnement et l’on se souvient de la dureté de son attitude à l’audience. « Je n’avais aucun mépris, aucune agressivité, réplique M. Marin, j’avais seulement la conviction intime que les réponses données n’étaient pas les bonnes. La suite de l’audience m’a donné partiellement raison. »
Mais pas le jugement final du tribunal. Alors, cet appel contre la décision de relaxe prononcée en faveur de M. de Villepin, de l’acharnement ? Ou une simple logique judiciaire, le parquet n’ayant pas été suivi dans ses réquisitions par le tribunal ? « Ce n’est pas un acharnement sarkozyste, je n’ai aucune agressivité dans l’exercice de mon métier. Je ne souhaite pas transformer un match Sarkozy contre Villepin en un duel Marin contre Villepin. Cette affaire est un piège, j’essaie de tracer mon sillon. »
Il fut dénigré, aussi, quand il décida, fin 2009, de requérir un non-lieu en faveur de l’ancien président Jacques Chirac, puis de classer l’enquête sur le député PS Julien Dray avec rappel à la loi. Deux positions risquées, critiquables. « J’assume,Je ne suis pas Néron, c’est un travail collectif. Devant le tribunal, il n’était pas déraisonnable de penser que M. Dray aurait été relaxé sur bon nombre de faits qui lui étaient reprochés. Quant à Jacques Chirac, c’est différent. Je n’allais pas renvoyer devant le tribunal un ancien président de la République pour deux emplois présumés fictifs. » déclare-t-il.
[Je souligne cette énormité puisque le gratte-papier du Monde n’a pas jugé bon de la relever.]
Il a failli quitter son siège, fin 2009. Mais la disgrâce de son collègue Philippe Courroye, procureur de Nanterre, qui devait le remplacer, a prolongé son bail. M. Marin n’ayant finalement pas été nommé procureur général de Paris, on ne devrait donc pas le voir à nouveau ferrailler avec M. de Villepin, dans le futur procès Clearstream, fin 2010, ou début 2011. D’ici là, il gérera les affaires à un poste, qui, dit-il, est surtout « un catalyseur de tous les fantasmes »…
La photographie qui illustre cette page vient du site de Le Journal du dimanche.