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18 octobre 2009 7 18 /10 /octobre /2009 01:36

Je transmets ce bilan de Jean-François Cabestan reçu le 18 octobre.

La section « Hôtel Lambert » de ce blog, enterrée prématurément, se trouve intégralement reversée dans celle, plus large, de l’« Architecture ». Vous y trouverez dix-huit autres articles sur la question depuis le 11 février 2009.




L’« affaire Lambert », état de la question et appel de fonds
Par Jean-François Cabestan


Chers professeurs, partenaires, étudiants et amis,

Les dix mois qui se sont écoulés depuis la découverte du projet de restauration de l’hôtel Lambert par les experts de la Commission du Vieux-Paris et l’action de « Paris Historique » ont permis tout au long du printemps et de l’été 2009 de donner une publicité hors du commun à ce qui demeurera le scandale patrimonial de la décennie. La séance de la Commission nationale des Monuments historiques du 7 mars, le feu vert de Christine Albanel donné le 11 juin, les audiences au Tribunal Administratif des 21 août et 8 septembre sont les temps forts d’un processus qui a abouti à la suspension de la décision ministérielle, ordonnée le 15 septembre dernier par la juge des référés Brigitte Vidard. Si l’« affaire Lambert » est suivie par la presse nationale depuis ses débuts, les media français et étrangers s’en sont maintenant si bien emparés qu’il apparaît désormais improbable que le projet ne fasse l’objet d’une sérieuse remise en question. L’étrange coalition qui s’est improvisée entre l’avocat du Prince Al Thani et le Ministère de la Culture pour contrer l’action de « Paris Historique » n’aura pas eu les résultats escomptés. C’est l’occasion de remercier chaleureusement les signataires de la pétition et d’encourager tous ceux qui se sont engagés y compris financièrement dans cette cause.

Les recours auprès du Conseil d’État récemment déposés par l’avocat du Ministère et par celui du Prince Al Thani font figure de barouds d’honneur et l’on peut raisonnablement escompter que le projet fera l’objet d’un jugement au fond. En dépit des allégations répétées de l’avocat du propriétaire et de celles de son architecte martelant à tout venant la pertinence du projet qu’ils défendent, le public a été instruit via la presse spécialisée ou non de la fragilité de leur argumentaire. Invoquées par ces derniers à satiété, les cautions intellectuelles que représentent la Commission nationale des Monuments historiques et le Comité scientifique chargé de suivre le projet de restauration sont aujourd’hui sérieusement mises à mal. Il a été établi que les membres de la première n’ont pas disposé des conditions matérielles leur permettant de prendre la juste mesure de l’énorme dossier qui leur a été fourni. La crédibilité du Comité scientifique ne saurait sortir quant à elle indemne de ses errements. Augmenté dans l’urgence et sous la pression des premiers effets de la polémique d’un historien de l’architecture – parce qu’il a bien fallu se résoudre à pallier cette lacune incompréhensible –, ce comité a successivement donné son aval aux interventions les plus déraisonnables, telle la sortie d’un parking par une porte escamotable sur le quai, ou la trémie d’un ascenseur dans le plafond historié et doré du cabinet de Jean-Baptiste Lambert.

L’émotion patrimoniale causée par l’irruption de ce cas d’espèce sur la scène de l’actualité aura été l’occasion d’une prise de conscience inédite des enjeux que soulève le devenir des édifices protégés au titre des Monuments Historiques. Il n’y avait ici au demeurant aucun besoin d’être spécialiste ni architecte pour entrevoir que l’asservissement de l’architecture et des dispositions d’un hôtel du XVIIe siècle aux standards d’un « cinq étoiles » de type international risquait bien d’entraîner une dénaturation profonde et irréversible de l’objet considéré. Peu au fait de la législation sur les édifices classés, certains se sont émus de l’atteinte portée aux intérêts du propriétaire. S’il présente en principe une garantie et un gain pour la collectivité, le classement d’un édifice au titre de la loi de 1913 sur les Monuments historiques entraîne un droit de regard des services de l’État. L’hôtel Lambert étant classé dans l’intégralité de ses dehors et de ses dedans, il va de soi que son propriétaire peut éprouver la sensation désagréable de n’être pas chez soi. Seul le déclassement du bien pourrait porter un terme à cette situation.

Dans l’état actuel, le projet tel qu’il a été avalisé par le Ministère de la Culture n’entretient aucun rapport avec les principes qui devaient orienter la restauration de ce monument de premier ordre qu’est l’hôtel Lambert. Logerait-on un parking sous la Villa Médicis ? En perforerait-on les planchers historiés ? Y soustrairait-on une cage d’escalier soi-disant tardive pour livrer passage à une batterie d’ascenseurs ? Comment justifier auprès des générations futures d’avoir laissé affubler l’hôtel Lambert de pots-à-feu, d’épis de faîtage et de lucarnes de tel ou tel modèle dans l’optique dérisoire de le rendre plus beau qu’il n’est déjà ? La Pologne s’est émue des interventions projetées, inquiète du démantèlement de la distribution de l’étage-attique. D’importants vestiges néo-gothiques y témoignent à l’heure actuelle de cet îlot de résistance qu’a formé l’hôtel Lambert tout au long de la période où ce pays avait disparu de la carte de l’Europe. Le passé et la distribution de cet étage n’en ont pas moins été soumis au principe d’une refonte totale, sacrifice perpétré au bénéfice de la création d’une série banalisée de chambres d’amis. Il est notamment prévu que la salle de bains et le dressing de l’une de ces suites compartimentent ce qu’il reste de l’ancien atelier troubadour, lieu de convivialité de l’époque romantique hanté par le souvenir de George Sand, Chopin et Delacroix.

L’avocat du prince a argué que le programme d’une résidence privée à caractère familial représentait une chance inespérée pour l’hôtel Lambert. Que le public ne s’y trompe pas. Si l’argument est exact, les équipements techniques induits par le conditionnement de l’air, la fluidification des circulations internes et le creusement des sous-sols – qu’ils répondent ou non à des exigences réellement formulées par le commanditaire – assujettissent bel et bien l’ancienne demeure au régime d’exploitation de locaux recevant du public, tel un ministère, une ambassade, voire un musée. Enfin, l’expertise de nombre de personnes sachantes ayant visité l’hôtel de fond en comble et les vidéos qui circulent ne permettent plus d’ajouter foi à l’alibi d’un état sanitaire catastrophique, impliquant une intervention d’urgence. Il y a beaucoup d’audace et d’arrogance à présenter le travestissement de l’hôtel Lambert en une résidence de luxe comme l’ultime chance de salut du précieux bâtiment. La longue succession des propriétaires qui se sont disputé la possession de la proue de l’île Saint-Louis à presque toutes les époques peut utilement conforter cette hypothèse. Brandie par les défenseurs du projet actuel  comme une menace, la désaffection du Prince Al Thani pour son bien pourrait au contraire constituer l’épilogue inattendu de ces mois de polémique. Si le programme qu’il s’agit d’insérer au chausse-pied dans le monument n’est pas susceptible d’évoluer, si son architecte n’est pas en mesure d’assumer la responsabilité d’une restauration désormais très attendue, en France comme à l’étranger, il faudrait alors se réjouir que le Prince se désintéresse d’un bâtiment dont il n’est pas douteux qu’il saura attirer d’autres acquéreurs et d’autres maîtres d’œuvre.

La poursuite de l’action de « Paris Historique » (frais d’avocat au Conseil d’État, constitution des pièces juridiques pour le jugement au fond) implique des ressources financières. Au nom de l’association, je m’autorise à insérer en pièce jointe un bulletin de versement en sa faveur. Vous pouvez envoyer vos dons par chèques libellés à l’ordre de « Paris Historique » ou les déposer au siège de l’association, 44-46 rue François-Miron. Les cotisations, dons et versements faits à son profit ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant, dans la limite de 20 % du revenu imposable. J’en appelle au civisme de tous pour s’impliquer contre cette erreur manifeste de l’État. Il serait déplorable que cette longue croisade avorte, faute d’avoir pu rassembler trois francs six sous !

Avec mes meilleurs messages,

Jean-François Cabestan




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