Légende et histoire des loïstes
Les Libertins d’Anvers
Aden, coll. « Opium du peuple », 2009
304 p., 12 x 19,5, 22 €
Georges Eekhoud, né en Belgique au XIXe siècle, est un écrivain qui affirme très tôt son intérêt pour les questions sociales doublé d’un intérêt esthétique pour les déshérités et d’une haine pour la bourgeoisie. Il participe à la fondation de l’Art social avec Emile Verhaeren et des leaders socialistes comme Emile Vandervelde. Il fait scandale en publiant le premier roman en littérature française de Belgique traitant ouvertement de l’homosexualité (Escal-Vigor). Il est surtout l’un des premiers auteurs à oser mélanger thématiques sociales et sexualité. C’est pourquoi il s’intéresse à une hérésie fort répandue dans la région d’Anvers au Moyen Âge : les Loïstes. Plus tard, Raoul Vaneigem s’intéressera à ce mouvement millénariste et le présentera dans son ouvrage La Résistance au christianisme. Eekhoud se passionne pour les Loïstes qui rejettent l’autorité de l’Eglise catholique et s’en prennent avec rage, pour la radicaliser, à la tiédeur de la Réforme comme ils critiquent l’austérité protestante ! Loïet et ses disciples en appellent à l’amour libre et à la défense des pauvres et des opprimés contre l’intolérable arrogance de la richesse. Les Libertins d’Anvers raconte l’histoire de cette hérésie tout en décrivant Anvers à la fin du XVe siècle.
Préface de Raoul Vaneigem.
L’Église a régné par la terreur, le quadrillage de l’espace et du temps, l’ignorance systématiquement propagée. Longtemps quelques érudits furent les seuls à mentionner le nom des audacieux qui bravèrent le totalitarisme religieux. Georges Eekhoud compta parmi les premiers à révéler au grand public quelques agitateurs qui, au péril de leur vie, menèrent un combat sans merci contre l’inhumanité catholique et protestante. C’est à lui que je dois la découverte de Tanchelm, des Hommes de l’Intelligence et d’Éloi Pruystinck. L’histoire du christianisme ignore délibérément le mouvement du libre esprit, qui du XIIe au XVIe siècle oppose au puritanisme hypocrite de l’Église et à son mépris de la nature humaine et terrestre la liberté des désirs, de la jouissance amoureuse, de l’affranchissement individuel et de la solidarité – ce que Georges Eekhoud appelle joliment un « anarchisme érotique ».
R. V.
http://www.aden.be/index.php
(Sources : Aden & la librairie Quilombo)
Je cite la brève biographie que donne Wikipédia de G. Eekhoud – qui propose, de manière générale, et soit dit en passant, de très bons articles sur les écrivains de la fin du XIXe siècle.
Georges Eekhoud, né à Anvers le 27 mars 1854 et mort le 29 mai 1927 à Schaerbeek, est un écrivain belge qui, flamand par la naissance et l’ascendance, reçut, comme Maurice Maeterlinck, Émile Verhaeren ou Georges Rodenbach, une éducation française. Il n’a jamais intimement renié son origine flamande. Il a choisi d’écrire en français parce que la littérature qui s’écrivait dans cette langue, en Belgique, à l’époque, était la littérature prestigieuse. Mais il a écrit, pour des raisons économiques, des romans populaires en flamand sous pseudonyme et il a collaboré à la presse flamande, sous son nom.
De milieu très modeste, orphelin très jeune, il a été élevé dans une famille bourgeoise. C’est ainsi qu’il a commencé ses études à Mechelen (Malines) et les a poursuivies en Suisse, à l’institut Breidenstein. Cette dualité, comme la dualité linguistique, a fortement marqué sa vie et son œuvre. Attentif au mouvement littéraire parisien, Il n’y a pas un accès direct. Contrairement à ce qu’on dit souvent, il n’a rencontré Zola ou Paul Verlaine qu’une seule fois et toujours à Bruxelles, où ceux-ci étaient de passage. Installé à Bruxelles en 1880, Eekhoud devient rédacteur au quotidien L’Étoile belge et rejoint les fondateurs de La Jeune Belgique, revue à laquelle il participe activement.
C’est en 1883 que paraît son premier roman Kees Doorik, Scène de Polder. Son héros est déjà un de ces parias auxquels l’écrivain vouera toute sa sympathie. Dans Kermesses et surtout dans La Nouvelle Carthage, Eekhoud affirme son credo social, un intérêt esthétique pour les déshérités et une haine pour la bourgeoisie. Il reste fidèle à la définition qu’en donne Gustave Flaubert : « J’appelle bourgeoisie tout ce qui est de bas » et invente le concept de « belgeoisie ». Il se souvient aussi des mots de Charles De Coster qui fut son répétiteur à l’École militaire : « Vois le peuple, le peuple partout ! La bourgeoisie est la même partout ». De telles opinions le conduisent à quitter La Jeune Belgique pour rejoindre le groupe du Coq rouge. À la même époque, il se rallie aux idées de l’avocat Edmond Picard, franc-maçon, premier sénateur socialiste et également un antisémite virulent.
Ainsi, il participe en 1892 à la fondation de l’Art social avec Camille Lemonnier, Verhaeren et des leaders socialistes comme Emile Vandervelde. Il réalise également la partie littéraire d’un Annuaire pour la Section d’art de la Maison du Peuple. Il collabore pendant vingt ans au Mercure de France dont il est le correspondant pour la Belgique.
En 1899, il publie son roman Escal-Vigor, faisant scandale en tant que premier roman en littérature française belge à traiter ouvertement l’homosexualité.
En 1900, quelques mois avant le procès intenté à Georges Eekhoud, paraît dans les Annales des sexualités intermédiaires et en particulier de l’homosexualité, la revue dirigée par Magnus Hirschfeld, un long article en allemand intitulé « Georges Eekhoud. Avant-propos ». Il est signé Numa Prætorius. Son objectif est de présenter aux lecteurs l’œuvre de Georges Eekhoud. C’est une curieuse analyse, quasi nouvelle par nouvelle, de ce que les ouvrages de Georges Eekhoud peuvent contenir d’éléments correspondant à ce qu’on appellerait, aujourd’hui, la culture homosexuelle. Le dépouillement est long, minutieux et explicite ; l’article qui fait suite à celui-là dans le même numéro de la revue a pour titre « Un Illustre Uraniste du XVIIe siècle. Jérôme Duquesnoy, sculpteur flamand ». Il est rédigé en français et il est signé par Georges Eekhoud. Cet ensemble est suivi lui-même de deux articles peu connus de Eekhoud, parus dans la revue Akademos et de la traduction en français d’autres articles de Numa Praetorius sur Georges Eekhoud. On trouvera encore un curieux article de Eekhoud paru dans L’Effort Éclectique après le procès d’Escal-Vigor. Loin de revendiquer simplement la totale liberté de l’écrivain, Eekhoud situe Escal-Vigor et le procès auquel il a donné lieu dans une perspective historique et politique. Dans tous les articles réunis ici, Eekhoud parle de l’uranisme tandis que d’autres, avec son approbation, parlent de lui comme du grand écrivain, qui le premier parmi les modernes, a peint des uranistes avec sympathie et sensibilité.
Cependant, voir en Eekhoud un auteur naturaliste manichéen est aussi réducteur que de lui accoler les étiquettes d’écrivain « régionaliste » ou de peintre de l’homosexualité masculine. C’est oublier qu’il est avant tout un esthète aux goûts paradoxaux, un poète lyrique qui excelle dans l’évocation des ports ou des foules :
« À l’horizon, des voiles fuyaient vers la mer, des cheminées de steamers déployaient, sur le gris laiteux et perlé du ciel, de longues banderoles moutonnantes, pareils à des exilés qui agitent leurs mouchoirs, en signe d’adieu, aussi longtemps qu’ils sont en vue des rives aimées. Des mouettes éparpillaient des vols d’ailes blanches sur la nappe verdâtre et blonde, aux dégradations si douces et si subtiles qu’elles désoleront éternellement les marinistes. » (La Nouvelle Carthage)
Georges Eekhoud par Félix Vallotton (Le Livre des masques de Remy de Gourmont)